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PHÉDON

est invisible et qui s’en va ailleurs, vers un lieu qui lui est assorti, lieu noble, lieu pur, lieu invisible, vers le pays d’Hadès pour l’appeler de son vrai nom, près du Dieu bon et sage[1], là où tout à l’heure, plaise à Dieu, mon âme aussi devra se rendre ; c’est cette âme, dis-je, dont tels sont en nous les caractères et la constitution naturelle, c’est elle qui, aussitôt séparée du corps, s’est, à ce que prétend le commun des hommes, dispersée et anéantie ! Il s’en faut de beaucoup, e mon cher Cébès, mon cher Simmias ; beaucoup plutôt, au contraire, voici ce qui en est.


Diversité dans la destinée des âmes.

« Supposons qu’elle soit pure, l’âme qui se sépare de son corps : de lui elle n’entraîne rien avec elle, pour cette raison que, loin d’avoir avec lui dans la vie aucun commerce volontaire, elle est parvenue, en le fuyant, à se ramasser en elle-même sur elle-même, pour cette raison encore que c’est à cela qu’elle s’exerce toujours. Ce qui équivaut exactement à dire qu’elle se mêle, au sens droit, de philosophie et qu’en réalité elle s’exerce à mourir 81 sans y faire de difficulté. Peut-on dire d’une telle conduite que ce n’est pas un exercice de la mort[2] ? — Hé ! c’est tout à fait cela. — Or donc, si tel est son état, c’est vers ce qui lui ressemble qu’elle s’en va, vers ce qui est invisible, vers ce qui est et divin et immortel et sage, c’est vers le lieu où son arrivée réalise pour elle le bonheur, où errement, déraison, terreurs, sauvages amours, tous les autres maux de la condition humaine, cessent de lui être attachés, et, comme on dit de ceux qui ont reçu l’initiation, c’est véritablement dans la compagnie des Dieux qu’elle passe le reste de son temps[3] ! Est-ce ce langage, Cébès, que nous devrons tenir, ou bien un autre ? — Celui-là même, par Zeus ! dit Cébès. — On peut

  1. Bien que, dans le Cratyle 404 b, Platon écarte l’étymologie Hadès-aïdès (l’invisible), il l’utilise ici (cf. 81 a, c fin et Gorg. 493 b) pour rapprocher la valeur spirituelle qu’il vient d’attribuer à l’Invisible de cette pure sagesse dont on dotait les divinités chthoniennes ou infernales (Crat. 404 a), auprès desquelles l’âme purifiée trouve asile : le Glorieux, le Bon Conseiller (Euclès, Eubouleus), disent les Tablettes orphiques (cf. la n. 3 et p. 25, n. 1 fin).
  2. Voir plus haut 67 de.
  3. Ainsi parlait sans doute cette sorte de poème d’initiation et de