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PHÉDON

rieurement à la naissance, puisqu’à la naissance nous en disposons, c’est donc que nous connaissions, et avant de naître et aussitôt nés, non point seulement l’Égal avec le Grand et le Petit, mais encore, ensemble, tout ce qui est de même sorte ? Car ce que concerne actuellement notre argument, ce n’est pas l’Égal plutôt que le Beau en soi-même, le Bon en soi-même, et le Juste, et le Saint, et généralement, selon mon expression, tout d ce qui par nous est marqué au sceau de « Réalité en soi », aussi bien dans les questions qu’on pose que dans les réponses qu’on fait[1]. De sorte que c’est pour nous une nécessité d’avoir acquis la connaissance de toutes ces choses antérieurement à notre naissance… — C’est bien cela. — Et aussi, supposé du moins qu’après l’avoir acquise nous ne l’ayons pas oubliée toutes les fois[2], de toujours naître avec ce savoir et de toujours le conserver au cours de notre vie. Savoir en effet consiste en ceci : après avoir acquis la connaissance de quelque chose, en disposer et ne point la perdre. Aussi bien, ce qu’on nomme « oubli », n’est-ce pas l’abandon d’une connaissance ? — Sans nul doute, Socrate, e dit-il. — En revanche, on pourrait bien, je pense, supposer que cette acquisition antérieure à notre naissance, nous l’avons perdue en naissant, mais que, dans la suite, en usant de nos sens à propos des choses en question, nous ressaisissons la connaissance qu’au temps passé nous en avions acquise d’abord. Dès lors, ce que l’on nomme « s’instruire » ne consisterait-il pas à ressaisir un savoir qui nous appartient ? Et sans doute, en donnant à cela le nom de « se ressouvenir », n’emploierions-nous pas la dénomination correcte ? — Hé ! absolument. — Il est possible en effet, c’est bien du moins ce qui nous est apparu, que, en percevant une chose 76 par la vue, par l’ouïe ou par la perception de tel autre sens, cette chose soit pour nous l’occasion de penser à une autre que nous avions oubliée et de laquelle approchait la première, sans lui ressembler ou en lui ressemblant. Par conséquent, je le répète, de deux choses l’une : ou bien c’est avec la connaissance des réalités en

  1. Savoir interroger et répondre définit la dialectique (78 d et p. 12, n. 2 ; cf. Crat. 390 c, Lois X, 893 a) ; elle est ainsi l’instrument nécessaire de la réminiscence (Ménon 84 cd, 85 cd). Voir surtout 101 d sq.
  2. C’est-à-dire à chacune de nos naissances successives.