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famine de 585[1]. Et dans toutes ces anecdotes, il s’agit incontestablement de professionnels et non de simples vendeurs ou de simples acheteurs d’occasion.

Nous sommes malheureusement très mal informés de l’histoire du commerce mérovingien à partir de la fin du vie siècle. On peut admettre pourtant, sans crainte de se tromper, qu’il a été entraîné dans la décadence générale de l’époque. La cause n’en est pas seulement dans les désordres croissants du royaume. Elle s’explique surtout par la perturbation que la brusque poussée des Mahométans jette dans le trafic de la Méditerranée. La Syrie tout d’abord, conquise en 633-638, cesse d’envoyer à Marseille des bateaux et des marchands. Puis bientôt, l’Égypte passe à son tour sous le joug de l’Islam (638-640) et le papyrus ne parvient plus en Gaule. Et à mesure que l’invasion, se rapprochant, s’étend à l’Afrique, puis à l’Espagne, la navigation jadis si active sur la côte provençale va se raréfiant sans cesse. Marseille, atteinte aux sources de sa prospérité, glisse sur la pente du déclin. Durant le viiie siècle, sa monnaie reste la plus importante du royaume et en 716 les moines de Corbie croient encore utile de se faire ratifier leur privilège au tonlieu de Fos[2]. Mais, une cinquantaine d’années plus tard, la solitude s’est faite dans son port. La mer nourricière s’est fermée devant lui. La Méditerranée, qui avait été jusqu’alors le grand chemin des échanges, n’est plus qu’une barrière. La vitalité économique qu’elle avait entretenue à Marseille et par Marseille jusqu’aux extrémités de la Gaule est définitivement éteinte.

C’est au moment où la monarchie franque se voit ainsi coupée de l’Orient et, pour ainsi dire, « embouteillée », que la dynastie carolingienne monte sur le trône (751). À en croire la plupart des historiens, son avènement aurait inauguré une brillante renaissance commerciale. Certains d’entre eux vont jusqu’à discerner dans l’œuvre de Charlemagne les indices de projets économiques de grand style, traçant, dès le ixe siècle, la voie dans laquelle devait se

  1. Grégoire de Tours, l. VI, 45.
  2. Levillain, op. cit., p. 235.