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Car ce qui reste de l’Empire, depuis la mort de Frédéric II, ce ne sont plus que des formes vaines. La situation prise par la papauté depuis Innocent III et la formation d’États nationaux en France et en Angleterre lui ont définitivement enlevé tout moyen de faire accepter par l’Europe sa primauté temporelle. S’il en est encore question, c’est dans l’École, où les professeurs de droit romain continuent à voir, en théorie dans l’empereur le maître du monde. Elle peut aussi être invoquée, ça et là, contre un adversaire politique, comme Boniface VIII l’a fait dans son conflit avec Philippe le Bel. Ou bien, quelque idéaliste y voit, ainsi que Dante, un beau rêve démenti par la réalité. En fait, c’est une idée morte, un reste du passé qui serait majestueux si le plus souvent la faiblesse des empereurs ne contrastait trop violemment avec les souvenirs qu’ils évoquent. On reconnaît encore à l’empereur le pas sur les autres souverains, le droit de créer des nobles et d’instituer des notaires en tous pays. C’est là à peu près tout ce qu’il a conservé de son ancien pouvoir universel. Ce qui lui vaut encore quelque prestige, ce sont ses relations avec le pape, auquel il reste nécessairement lié. Elles provoqueront au xive siècle une épilogue sans portée des grands conflits du passé, et elles fourniront au xve siècle, à Sigismond, ce que l’on pourrait appeler avec une irrévérence que justifierait jusqu’à un certain point la prétention de ses allures, le rôle d’impresario du Concile de Constance.

Rodolphe de Habsbourg ne trouva pas le temps, durant son long règne (1273-1291), d’aller prendre à Rome la couronne impériale. L’Allemagne suffit à l’occuper. Il ne fallait pas être grand politique pour reconnaître qu’une restauration du pouvoir monarchique y était impossible. La première condition en eut été l’hérédité de la couronne. Il n’y fallait pas penser. Ni le pape, ni les électeurs, ni les princes n’eussent consenti. Rallier les villes à la cause monarchique était plus chimérique encore. Il eût fallu pour cela qu’elles sentissent le besoin d’un protecteur, et ce besoin elles ne l’éprouvaient pas. Les princes n’étaient pas assez puissants pour les mettre en péril et, en cas de danger, les ligues régionales qu’elles concluaient, suffisaient à garantir leur indépendance. Pouvait-on au moins espérer rallier la nation contre l’étranger et, profitant des empiétements de la France sur la frontière occidentale, se mettre à la tête du pays et s’imposer à lui comme son défenseur ? Il eût fallu pour cela que l’Allemagne fût animée d’un sentiment national qui lui faisait totalement défaut. Chacun n’y songeait qu’à soi et la seule