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père dut forcément se borner à l’étude des ensembles ; l’histoire sociale, l’évolution économique, les grands courants religieux et politiques ont retenu son attention, les faits ne servant, en somme, que de support à la vaste fresque qu’il brosse à larges traits, embrassant d’un seul regard l’Orient et l’Occident.

Le lecteur s’étonnera peut-être de trouver autant de dates citées entre parenthèses. Dans le manuscrit elles sont presque toutes absentes, les parenthèses ont été ouvertes pour les y placer plus tard, j’ai cru devoir, en publiant cette Histoire, les ajouter comme mon père l’eût fait lui-même.

L’« Histoire de l’Europe » s’arrête brusquement vers 1550. Et pourtant le plan que suit, pas à pas, le manuscrit, se développe jusqu’en 1914. C’est que les événements vinrent interrompre l’œuvre en pleine élaboration. L’arrivée à Creuzburg, le 8 août 1918, de ma mère et de mon jeune frère Robert qui, après plus de deux ans, avaient enfin obtenu l’autorisation de partager l’exil de mon père, ne marque qu’un arrêt de quelques jours dans la rédaction. Ce fut l’armistice qui y mit fin.

Rentré en Belgique, mon père se préoccupa avant tout de continuer l’« Histoire de Belgique », et l’« Histoire de l’Europe » sommeilla. Et pourtant « Les villes du Moyen Âge », « La civilisation occidentale au Moyen Âge », et le dernier ouvrage, dont mon père termina la première rédaction quelques mois avant sa mort, « Mahomet et Charlemagne », ne sont que des développements partiels de l’« Histoire de l’Europe ».

Bien des fois nous avons parlé de ce travail que, pour ma part, je considère comme le plus magistral de toute son œuvre ! Son intention était de le terminer un jour. Mon père m’a chargé de le publier si la vie ne lui en laissait pas le temps. En le livrant aujourd’hui au public, j’obéis à un pieux devoir.

Pourtant il faut, en lisant l’« Histoire de l’Europe », ne pas perdre de vue que l’auteur n’a pu lui donner sa forme définitive. C’est telle qu’elle est sortie de sa plume, sans même avoir été relue, qu’elle apparaît, un peu frustre parfois comme style, mais d’autant plus attachante par la vigueur et la hardiesse de la pensée qu’aucune recherche de forme n’est encore venue déflorer. Mon père a écrit l’ «  Histoire de l’Europe  » pour lui-même. Celle qu’il eût livré au public, si la vie le lui avait permis, aurait comporté sans doute une plus grande illustration de faits, des références, des citations ; son style eût été plus châtié. Elle n’aurait pu être plus riche de vie, plus ramassée,