Page:Pierre-Jean De Smet - voyages aux Montagnes Rocheuses.djvu/398

Cette page a été validée par deux contributeurs.
350
UNE ANNEE DE SÉJOUR

milieu des courants et des remous : tantôt on les aperçoit flottant avec nonchalance, la tête élevée au-dessus des vagues, tantôt s’élançant en un clin d’œil à droite et à gauche, soit qu’ils se jouent entre eux, soit qu’ils poursuivent avec une étonnante vélocité leur proie aux brillantes écailles.

C’est à l’un de ces écueils, appelé les petites dalles, que nous arriva, dès le second jour de notre navigation, le fatal accident que je n’oublierai jamais. J’étais descendu à terre, et je me promenais le long du rivage, ne pensant guère au malheur qui nous attendait ; car mon bréviaire, mes papiers, mon lit, en un mot, tout mon petit bagage était resté dans la berge. J’avais à peine fait un quart de mille, lorsque nos gens poussèrent au large, et en les voyant descendre d’un air insouciant et tranquille, chantant leurs refrains de matelots, je commençais à me repentir d’avoir préféré au cours paisible du fleuve un sentier rocailleux sur le penchant d’une côte escarpée. Tout à coup l’aspect des choses changea. La proue de la berge se trouva arrêtée si brusquement par un obstacle imprévu, que les rameurs pouvaient à peine retenir leurs avirons ; cependant ils reprirent bientôt leurs travaux avec une nouvelle énergie, mais la barque ne cédait point à leurs efforts. Déjà les premières agitations d’un grand tourbillon se développaient autour de la frêle chaloupe, l’écume commençait à blanchir la surface de l’eau, un mugissement sourd se fit entendre, au travers