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PROGRÈS



La prose étouffera les vers !
Pourquoi rimer ? C’est un travers,
 Une manie ;
Ô Muse, éprise des grands bois,
Des sources, des airs villageois,
 Sois donc bannie !



Lyre et pipeaux sont vermoulus.
Les tendres élans, au surplus.
 Les rêveries,
Semblent des thèmes bien fanés :
Adieu, rondeaux ; adieu, sonnets
 Et bergeries.



C’est se montrer par trop naïf
De savourer le vieux Baïf,
 En pleine idylle :
Sous le frais cytise odorant,
Au bord d’un ruisseau murmurant,
 Loin de la ville !



À quoi bon chanter les oiseaux,
Le chêne, les souples roseaux,
 Les amoureuses ?
À quoi bon parler des autans.
D’un chaud rayon, du gai printemps.
 Des tubéreuses ?



Célébrer le retour d’avril
Ou d’un enfant le doux babil,
 Quelle folie !



Qui voudrait évoquer les jours
Remplis par les jeunes amours ?…
 Le sage oublie,



Qui songe encore au ciel d’azur,
À la brise, au lis blanc, si pur ?
 Dans la rosée,
Qui donc cueillera le jasmin,
Dès l’aube, en tenant par la main
 Son épousée ?



Tout paraît banal à présent ;
Seul le scandale est amusant :
 Rien ne l’arrête !
On raille vertus, lois, devoirs,
Foi vive, aveux, serments, espoirs,
 Et joie honnête.



L’idéal n’est plus de saison.
Point de lumineux horizon,
 Ni de chimère ;
Le Doute a glacé les esprits ;
Maintenant, les Dieux sont proscrits ;
 On rit d’Homère.



Pauvres poètes arriérés,
Écouter les gens affairés,
 Et, vite, en course !
Dédaigneux des soleils couchants,
Il ne faut plus aller aux champs,
 Mais à la Bourse.




SONNETS




JOUR DE MARCHÉ



Septembre gonfle et dore enfin le chasselas ;
Les pêches sont à point. La déesse Pomone
(Un peu trop démodée), à coup sûr, est très bonne
De garnir aussi bien l’espalier, l’échalas !

Chaque tente rustique abrite des amas
De beaux fruits parfumés, que la foule environne,
Regardant, tour à tour, les prunes de Damas,
Et la figue entr’ouverte, où l’abeille bourdonne.

On marchande, on choisit. — Et, bientôt, le dessert,
Mis sur la nappe blanche, et sous l’épais couvert
D’un jardinet en fleurs, ignoré du profane,