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rence, — annihilés comme volonté, n’existaient plus que comme instruments. Dès lors, plus d’obstacle, et, par suite, plus de progrès, mais l’abandon aux instincts et aux passions, l’amour des jouissances frivoles suivant le caprice du moment, sans prévoyance, sans souci de l’épargne, sans réelles vertus de famille, sans un haut idéal de vie intellectuelle et morale, sans la moindre préoccupation, en un mot, de la justice et de l’humanité. Il est juste de dire que si les colons, contents de se laisser vivre, excédèrent ou laissèrent excéder par leurs gérants les nègres de fatigues et de cruautés pour obtenir d’eux le maximum d’efforts et de rendement possible, la cause en est, non pas uniquement à leur égoïsme et à leur désir immodéré du luxe, mais aussi, pour une bonne part, au régime tyrannique qu’ils furent eux-mêmes contraints de subir de la part de la métropole.

9° L’abolition de la traite, puis de l’esclavage, et enfin du pacte colonial, a changé la face des choses. Toutefois, il n’en reste pas moins établi que, l’esclavage ayant produit les tristes résultats que nous avons fait connaître, à la suite de l’émancipation se sont posés d’autres problèmes nés précisément de la situation antérieure, et qui sont loin d’être encore complètement résolus. En premier lieu est celui de l’accord des deux races qui, au fond, restent radicalement hostiles, mais avec cette différence que les gens de couleur jouissant désormais des mêmes droits que les blancs et l’emportant fatalement par le nombre, ont aujourd’hui la prépondérance. S’il est vrai qu’il existe « une justice immanente », on pourrait trouver que c’est là comme un « juste retour… des choses d’ici-bas », une sorte d’expiation du passé, subie, ainsi qu’il arrive trop souvent, par d’autres que les auteurs responsables. Quoi qu’il en soit, ce résultat n’est-il pas déplorable ? Et peut-on s’empêcher de regretter que le pouvoir soit précisément dévolu à ceux qui paraissent jusqu’ici le moins préparés à l’exercer ?

En second lieu, le sol ayant été, peut-on dire, lui aussi,