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taux à l’établissement d’ « habitations sucrières », qui exigent un vaste terrain, un grand nombre de nègres, des bâtiments considérables.

La grande propriété est rendue aussi nécessaire, parce qu’on n’a pas l’idée de séparer les deux opérations, agricole et industrielle, de la production de la canne et de la fabrication du sucre. Autrement, les petits propriétaires auraient pu continuer à vivre en apportant leurs cannes à des établissements spéciaux chargés de les travailler. Ce procédé a été préconisé surtout au moment de l’abolition de l’esclavage, et l’expérience a prouvé qu’il était beaucoup plus rémunérateur[1]. Il est certain que, s’il avait été adopté autrefois, la propriété ne se serait pas concentrée en un aussi petit nombre de mains qu’elle le fut aux Antilles. Mais c’est précisément ce que ne voulurent pas les spéculateurs les plus hardis, qui ne s’expatriaient que dans l’espoir de faire rapidement de grosses fortunes. L’aléa qui les tentait n’existant plus, ils ne se seraient sans doute pas aventurés au delà des mers pour y chercher simplement la paisible et médiocre existence d’un petit cultivateur. C’eût été une perte, car les audacieux sont nécessaires dans les pays neufs. Peut-être donc exprimons-nous une vue purement chimérique en regrettant qu’on n’ait pas eu primitivement recours à cette division du travail, qui semble impliquer une société déjà pleinement organisée. Nous n’ignorons pas que l’histoire ne se refait pas après coup. Mais ne serait-il pas excessif de se contenter de dire tou-

  1. Cf. Schœlcher, Abolition immédiate de l’esclavage, Paris, 1842, p. xxiii, et L’esclavage pendant les deux dernières années, II, 377. Il cite une brochure de M. P. Daubrée, Questions coloniales sous le l’apport industriel, 1841, où sont exposés les avantages de cette combinaison, qui ne nécessite plus un grand concours de bras, ni un gros capital d’exploitation. — Ramon de la Sagra, savant économiste espagnol, indique dans son Historia fisica, politica y natural de la isla de Cuba, que c’est ainsi qu’on procède à Java et qu’on obtient les meilleurs résultats. — V. aussi Revue Col., 1re série, 1845, t. V, p. 259 et suiv., Analyse d’un article de José-A. Saco, De la suppression de la traite des esclaves africains dans l’île de Cuba, — et 2e série, 1849, t. II, p. 7, un Mémoire de Don Domingo de Goicouria.