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trop facilement à ne rien faire, à se laisser dominer par ses passions, à ne pas tolérer la moindre velléité de résistance. Celui-là, dont les instincts sont sans cesse réprimés, devient un être absolument passif, sans initiative, sans responsabilité, sans moralité[1]. Il est obligé de recourir à la dissimulation et à la ruse pour voler ce qui lui est refusé, ou bien à la violence pour se venger. S’il parvient à la liberté, son idéal est d’imiter le blanc. On comprend que, lors de l’abolition de l’esclavage par la Convention, les noirs aient cru qu’ « être libre, c’est avoir des esclaves » et qu’ils en aient réclamé à grands cris ; on comprend encore que, suivant cette autre idée, « être libre, c’est ne rien faire », ils aient obstinément refusé de travailler. « Les Africains, privés par l’esclavage de cette règle intérieure qui détermine la moralité des actions humaines, jetés soudainement de la servitude dans les excès d’une licence sans bornes, étrangers à nos usages et à nos lois, ont été égarés par les leçons qu’ils ont reçues au moment de leur entrée subite dans la société[2]. »

En outre, les nègres, dix ou quinze fois plus nombreux que les blancs, n’ont pu être domptés que par la terreur. Mais les propriétaires eux-mêmes ont vécu sans cesse en proie à la crainte des révoltes serviles ou, tout au moins, des brigandages des nègres marrons, qui exercèrent si souvent contre eux de si terribles représailles. Ils ont dû appliquer la maxime : Oderint dum metuant, et pour cela se conduire sans cesse en bourreaux. Plaignons-les eux-mêmes d’en avoir été réduits à ce triste rôle. L’impartialité nous oblige de constater ici qu’il ne manqua pas de bons maîtres et qu’à ceux-là les esclaves se montrèrent dévoués. De plus, à l’occasion des fréquentes attaques dirigées contre les Antilles par les Anglais, on vit des esclaves combattre vaillamment contre l’ennemi. Mais pouvait-on jamais compter sur leur fidélité, quand il leur était si facile d’acheter la liberté par la trahison — bien

  1. Cf. De Broglie, Rapport de la Commission, etc., pp. 110 et 130.
  2. Arch. Col., Essai sur l’esclavage, F, 129, p. 131.