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Une « mulle libertine » s’était vantée de ce qu’un de ses amants avait dépensé pour sa toilette 7 à 800 livres. La dépravation des mœurs restait très grande chez les gens de couleur libres, pour beaucoup desquels elle avait été précisément l’origine de la liberté. Faut-il s’étonner que le sens moral ne fût guère développé en eux ?

C’est ainsi que, dans bien des cas, ils arrivaient à une certaine aisance et même à la fortune. Mais diverses restrictions furent imposées, après le Code Noir, à leur droit de propriété. Si une décision royale les autorise à disposer de leurs biens, lorsqu’ils n’ont pas d’enfants[1], ils sont en revanche déclarés incapable « de recevoir des blancs aucune donation entre vifs, ou à cause de mort, ou autrement, sous quelque dénomination ni prétexte que ce puisse être[2] ». Les dons ou legs faits en leur faveur étaient acquis à l’hôpital. Mais il est bien évident, comme le fait remarquer R. Dessalles[3], qu’il restait encore aux blancs la ressource d’éluder la loi de leur vivant en dénaturant leurs propriétés, ou, après leur mort, par des fidéi-commis. Du reste, nous trouvons à chaque instant des décisions contradictoires sur ce point comme sur bien d’autres, ce qui fait — répétons-le — qu’il est en réalité bien difficile de tracer un tableau rigoureusement exact de ce que fut aux Antilles la législation relative aux esclaves et aux affranchis. Par exemple, nous citerons le cas suivant d’une donation, en apparence irrégulière, d’après les textes que nous venons de rapporter, et qui fut néanmoins confirmée successivement par les diverses autorités d’une manière définitive[4]. Il s’agit de plusieurs esclaves affranchis en vertu d’un acte notarié par le sieur Dausseur, conseiller au Conseil supérieur de la Guadeloupe. Il est décédé en 1765. Or, il avait assigné une pension viagère de 600 livres à son esclave mulâtresse

  1. Arch. Col., B, 72, p. 152. Lettre ministérielle à M. Dalbond, 30 décembre 1741.
  2. Moreau de Saint-Méry. III, 159, 8 février 1723.
  3. Op. cit., IV, 232.
  4. Arch. Col. F, 228, p. 923, 12 juillet 1768.