Page:Peytraud - L'esclavage aux Antilles françaises avant 1789, 1897.djvu/447

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

transportés aux colonies comme esclaves, que l’esclavage a imprimé une tache ineffaçable sur toute leur postérité, même sur ceux qui se trouvent d’un sang-mêlé ; et que, par conséquent, ceux qui en descendent ne peuvent jamais entrer dans la classe des blancs. Car, s’il était un temps où ils pourraient être réputés blancs, ils jouiraient alors de tous les privilèges des blancs, et pourraient, comme eux, prétendre à toutes les places et dignités, ce qui serait absolument contraire aux constitutions des colonies. » — Cette même théorie est confirmée peu après au sujet de gens de couleur de Saint-Domingue, qui ont demandé au Conseil supérieur de Port-au-Prince l’enregistrement de titres de noblesse, en se fondant sur ce qu’on l’accordait à des Indiens. Mais le Ministre répond aux administrateurs[1] qu’il y a une différence essentielle entre les Indiens et les nègres. « La raison de cette différence est prise de ce que les Indiens sont nés libres et ont toujours conservé l’avantage de la liberté dans les colonies, tandis que les nègres n’y ont été introduits que pour y demeurer dans l’état d’esclavage, première tache qui s’étend sur tous leurs descendants et que le don de la liberté ne peut effacer. » Les Indiens, assimilés aux sujets du roi originaires d’Europe, peuvent prétendre à toutes charges et dignités dans les colonies ; tandis que les nègres ou leurs descendants, étant exclus de tous emplois, le sont, à plus forte raison, de la noblesse.

Aussi les gens de couleur essayaient-ils de se faire passer pour Indiens. Le 27 mai 1771, le Ministre[2] approuve les administrateurs de Saint-Domingue, MM. le comte de Nolivos et de Montarcher, d’avoir refusé de solliciter pour les sieur et dame Vincent des lettres patentes les déclarant issus de race indienne. « Une pareille grâce tendrait à détruire la différence

  1. Moreau de Saint-Méry, V, 80. Lettre du 7 janvier 1767.
  2. Id., ib., 356 ; — et Arch. Col., B, 138, Saint-Domingue, 77 ; ce dernier texte est plus complet ; dans le même volume, p. 100, est une autre lettre, du 5 juillet 1771, aux mêmes administrateurs, pour leur rappeler les principes à suivre à ce sujet.