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de la liberté, soit immédiatement, soit après sa mort. On conçoit aussi qu’il n’y avait guère que les esclaves domestiques qui fussent à même de profiter de cette cause d’affranchissement. D’une manière générale, d’ailleurs, c’est à peu près uniquement parmi cette catégorie que se recrutent les affranchis : ce sont, en effet, des esclaves de choix, ceux qui ont la meilleure tournure, qui sont les plus intelligentes et de meilleur caractère. Grâce à une certaine familiarité, qui était commune entre les créoles et leurs serviteurs, ceux-ci arrivaient souvent à prendre un grand empire sur eux. C’est ce qui se produisait en particulier pour les nourrices. N’oublions pas de noter que, vu la nonchalance bien connue des créoles et la facilité qu’ils avaient de s’entourer d’un innombrable personnel domestique, ils se laissaient aller à se rendre dépendants de leurs services pour s’éviter la moindre fatigue[1]. C’est même en voyant tous ces domestiques, souvent occupés à ne rien faire, plus ou moins indolents, presque toujours souriants, que certains voyageurs, accueillis aux îles par l’hospitalité la plus large, ont parfois été tentés de faire l’apologie de l’esclavage[2]. Mais il ne faut jamais perdre de vue que l’esclave véritable, celui qui porte réellement tout le poids de sa terrible chaîne, c’est celui de l’atelier et du jardin, condamné au travail forcé du matin au soir ; c’est l’automate anonyme, perdu dans cette masse noire incessamment mouvante et qui ne se distingue guère, pour le propriétaire, des rouages d’une machine. Donc ce chapitre s’applique presque exclusivement aux nègres domestiques.

Nous mettrons à part les affranchissements pour services rendus à la cause publique. Un arrêté du Conseil de guerre

  1. Schœlcher, Abolition immédiate de l’esclavage, cite des exemples de faits dont il a été encore lui-même témoin : une femme créole ne peut pas se baisser pour ramasser son mouchoir ; — une nouvelle mariée, que son mari attend pour déjeuner, se croit elle-même obligée d’attendre, pour se lever, la négresse qui d’ordinaire lui mettait ses bas, etc.
  2. Tel est spécialement Granier de Cassagnac.