Page:Peytraud - L'esclavage aux Antilles françaises avant 1789, 1897.djvu/41

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

véritable traite de blancs. Aussi les capitaines en étaient-ils réduits à les racoler par surprise ou par force ; et nous voyons, par une ordonnance du 14 janvier 1721[1], que ceux-ci cherchaient tous les moyens de s’échapper ; en conséquence une amende de 60 livres fut imposée aux capitaines pour chaque évadé. Aux îles, les engagés étaient aussi adonnés au marronage[2] que les nègres et tâchaient de gagner le territoire espagnol. On en vint donc à donner une prime de 4 écus aux « captureurs » pour la prise de chaque engagé, et celui-ci dut rembourser son maître de cette somme par une prolongation de six mois de service au-delà de son engagement[3]. En regard de ces mesures sévères, la protection qui leur est accordée semble assez faible. Par exemple, un économe ayant brûlé les pieds à un engagé n’est condamné qu’à 50 livres d’aumône et 50 livres d’indemnité au maître de cet engagé, qui est déclaré libre, sans qu’il soit d’ailleurs nullement question de dommages-intérêts à lui accorder[4]. Il est facile de comprendre que, dans ces conditions, ils ne fussent guère encouragés à s’expatrier.

En réalité, il n’y avait que la détresse absolue et l’espoir vague d’acquérir quelques ressources qui pussent les déterminer à passer aux îles. Aucun document officiel ne nous indique le salaire qu’ils touchaient. Au dire de Rochefort[5], l’ordinaire était de 300 livres de tabac pour trois ans, outre la nourriture, mais sans qu’on leur fournît de vêtements. Malgré tout, s’ils arrivaient sans trop de mal à remplir leur engagement, ils pouvaient devenir ouvriers libres, ou bien, ayant obtenu une concession, s’établir comme petits habitants ou petits blancs. On en, cite même qui devinrent de

  1. Moreau de Saint-Méry, II, 711.
  2. Cf. liv. II, ch. v, au sujet des nègres marrons.
  3. Ordonnance de M. de Galliffet, commandant en chef par intérim, du 15 septembre 1700. Moreau de Saint-Méry, I, 649.
  4. Arrêt du Conseil du Cap, du 3 mai 1706. Moreau de Saint-Méry, II, 69.
  5. Histoire naturelle et morale des îles Antilles et de l’Amérique, p. 340.