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porelle qui pouvait être infligée au coupable. Mais, lorsqu’il s’agissait d’un crime entraînant la peine de mort, le maître subissait lui-même un dommage par le seul fait de la perte de son esclave. Son intérêt eût donc été de le dérober à l’expiation. On fut ainsi amené à chercher les moyens de faire de lui l’auxiliaire de la justice. On n’en trouva qu’un, qui consistait à lui rembourser le prix du nègre condamné. Ainsi le prescrit l’article 40 du Code Noir, qui ne faisait, du reste, que confirmer l’usage déjà précédemment adopté. Il fallait naturellement que le maître n’eut pas été complice. Le Code Noir spécifie, de plus, qu’il a dû dénoncer lui-même le criminel. Mais cette condition ne fut nullement considérée comme indispensable. Les condamnations à mort étant fréquentes, on se vit obligé de créer un fonds spécial pour indemniser les propriétaires. Ce fut la caisse des nègres justiciés ; c’était, à vrai dire, une sorte de société d’assurance mutuelle, imposée aux maîtres contre des risques communs à courir. Chacun payait un droit fixé au prorata du nombre de ses esclaves, d’après la somme totale jugée nécessaire chaque année.

Le texte le plus ancien relatif au remboursement des nègres justiciés est un arrêt du Conseil de la Martinique, du 16 juillet 1665[1]. « Il est juste, écrit à ce propos Moreau de Saint-Méry, que la sûreté que la mort d’un coupable procure à toute la société ne coûte pas un sacrifice trop cher à un seul individu. » Ce même principe est appliqué peu de temps après à propos d’un accident et non d’un crime : deux nègres ayant été tués aux travaux publics du Fort-Royal, le Conseil décide que le prix en sera payé à leurs maîtres[2]. Là encore, on le voit, c’est une question d’intérêt général. Un arrêt du Conseil du Cap, du 9 mai 1708[3], commuant la condamnation à mort d’un

  1. Moreau de Saint-Méry, I, 148.
  2. Id., ib., 261, 5 mars 1672. — Même cas, 20 janvier 1730. Arch. Col., F, 255, p. 1083.
  3. Moreau de Saint-Méry, II, 117.