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En somme, le poison causa aux maîtres une terreur perpétuelle. Les esclaves se défendaient comme ils le pouvaient. Quelque répugnants que nous paraissent ces procédés de vengeance, la plupart du temps insaisissables, nous sommes bien forcés de reconnaître que c’était la seule ressource qui leur fût laissée. N’est-ce pas encore là un terrible argument pour condamner l’esclavage qui, en opprimant et dégradant l’homme, développe surtout en lui les instincts mauvais ? Car, dans bien des cas, l’empoisonnement ne satisfit même que le désir sauvage de la destruction pour la destruction. Ne conçoit-on pas l’exaspération qui naissait dans le cœur de ces misérables, accablés et surmenés de travail et de mauvais traitements ?



VI

On essaye bien d’empêcher les excès des maîtres à l’égard de leurs esclaves ; mais, en fait, c’est bien plutôt sur l’adoucissement des mœurs que sur les mesures législatives qu’on doit compter pour atteindre ce résultat. Or, si les documents nous montrent d’assez nombreux exemples de répression, quels durent être les excès restés inconnus ou impunis !

Un arrêt du Conseil de la Martinique, du 20 octobre 1670[1], casse un lieutenant de milice, parce qu’il mutilait ses nègres. Il avait fait arracher à l’un d’eux toutes les dents de la mâchoire supérieure, fait inciser les flancs d’un autre et couler dans ses plaies du lard fondu. On confisqua les deux victimes au profit de l’hôpital et de la fabrique du Pont-de-Saint-Pierre. De plus, le Conseil ordonna qu’il comparaîtrait devant lui « pour y recevoir la correction que ses actions méritaient, et il le condamna à 4.000 livres de sucre d’amende ». — Par arrêt du 10 mai 1671[2], le sieur Brocard est

  1. Moreau de Saint-Méry, I, 203 ; — et Dessalles, III, 150.
  2. Moreau de Saint-Méry, I, 224.