Page:Peytraud - L'esclavage aux Antilles françaises avant 1789, 1897.djvu/312

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ainsi donc, pour nous résumer, l’esclave n’a pas d’état civil ; légalement, il n’est ni citoyen, ni époux, ni père. Il n’est guère qu’un reproducteur. Il ne compte que par les recensements pour être soumis à la capitation et aux corvées. L’Église l’inscrit pourtant sur ses registres quand elle le baptise. Elle lui accorde une âme. Mais, corporellement, c’est un bétail ; la loi en fait un meuble ; mais, dans la plupart des cas, elle déclare qu’il doit rester attaché à la terre qu’il cultive. Il est une propriété, et ce n’est que par un tempérament des mœurs qu’il possède lui-même quelque chose, un pécule, dont il n’est en quelque sorte que le détenteur usufruitier, de par la gracieuse volonté de son maître. Il est également incapable de recevoir et de donner. Il n’a de volonté, vivant ou mort, que celle de son maître. S’il agit, c’est qu’il le représente ; c’est uniquement par lui et pour lui qu’il exerce un métier ou un commerce. On n’a pas été jusqu’à lui refuser, au point de vue de la religion, le droit purement spirituel de faire son salut. Mais, dans la vie sociale, on le considère comme incapable de moralité, puisqu’on ne reçoit pas son témoignage, ou du moins qu’on ne finit par l’admettre qu’à défaut de celui des blancs. La justice ne lui permet de faire aucun acte d’homme. Il vit en droit hors la société, dont toutes les rigueurs s’appesantissent sur lui, sans qu’il puisse en retirer le moindre avantage. La loi ne saurait avoir pour lui la signification d’un contrat, elle se dresse simplement devant lui comme une contrainte perpétuelle. Il a un corps, c’est pour travailler, ou pour souffrir, ou bien encore pour servir au plaisir de maîtres dépravés ; quanta son intelligence, quant à sa volonté, il ne doit également les exercer que pour le profit de ce maître, la plupart du temps avide et tyrannique. Il subit le droit du plus fort exercé à son égard avec tout son révoltant cynisme.