Page:Peytraud - L'esclavage aux Antilles françaises avant 1789, 1897.djvu/306

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fois supérieur à celui des blancs. D’abord elle permettait aux maîtres de maltraiter à peu près impunément leurs esclaves ; puis, en cas de délit ou de crime commis par quelque blanc, combien de chances y avait-il pour que le ou les seuls témoins fussent des noirs ! Aussi cet article fut-il immédiatement l’objet de remontrances de la part des Conseils souverains qui eurent à enregistrer le Code Noir. Un arrêt du Conseil d’État, du 13 octobre 1686[1], permit donc d’admettre le témoignage des nègres « à défaut de celui des blancs », et encore « hormis contre leurs maîtres ». Cette expérience servit pour la rédaction de l’Édit de mars 1724 concernant les esclaves de la Louisiane et qui n’est guère, d’ailleurs, que la reproduction du Code Noir avec quelques modifications[2]. L’article 24 dit en effet qu’ils « … ne pourront aussi être témoins tant en matière civile que criminelle, à moins qu’ils ne soient témoins nécessaires, et seulement à défaut de blancs ; mais dans aucun cas ils ne pourront servir de témoins pour ou contre les maîtres. » Une ordonnance du roi, du 9 juillet 1738[3], confirme purement et simplement les dispositions ci-dessus et les rend applicables à Saint-Domingue, où elles n’avaient point été connues.

Il est curieux de voir que, le 16 juillet 1665, il fut jugé à la Martinique, au procès d’un nègre du sieur Renaudot, qu’en matière criminelle le témoignage d’un seul nègre ne serait d’aucune considération contre les blancs. Le Conseil ignorait même l’axiome : testis unus, testis nullus[4]. Le Brasseur, commentant l’article 30 du Code Noir[5], dit que cette disposition est imitée du droit romain. Mais, à Rome, il y avait

  1. Moreau de Saint-Méry, I, 447. Nous constatons que, malgré cela, le Conseil de la Martinique adresse encore de très humbles remontrances à la date du 1er octobre 1687 et supplie précisément le roi d’admettre le témoignage des nègres à défaut de celui des blancs, sauf contre leurs propres maîtres. Arch. Col., F, 248, p. 1087.
  2. Cf. Moreau de Saint-Méry, III, 88.
  3. Durand-Molard, I, 407.
  4. Dessalles, III, 116.
  5. Arch. Col., F, 157, p. 184. Tableau de l’administration des Îles-sous-le-Vent.