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que l’esclave n’est pas une personne dans l’État », écrit Bossuet[1]. Et, en effet, théoriquement le droit est pour lui à peu près chose nulle. Pourtant, dans la réalité, nous voyons que la logique ne s’appliqua pas avec cette rigueur absolue. Quelque mépris que les hommes libres aient eu de l’esclave, ils ne sont pas parvenus à abolir en lui tous les caractères de l’être humain. D’abord l’intérêt même a conduit, ainsi que nous l’avons vu, le législateur à porter des peines contre les maîtres qui abuseraient de leurs esclaves. Puis le progrès des mœurs a fait adoucir leur sort dans une certaine mesure. Aussi, sans qu’il puisse être vraiment question d’un état civil pour les esclaves avant le xixe siècle[2] (loi du 24 avril 1833), il y a, malgré tout, un ensemble de mesures prises à leur égard, même sous l’ancien régime, qui nous ont paru ne pouvoir être mieux rangées que sous le titre ci-dessus.

Le Code Noir prescrit par l’article 2 de faire baptiser tous les nègres nouvellement importés d’Afrique. Il ne parle point des nègres créoles, c’est-à-dire naissant dans les colonies ; mais il est évident que cette obligation s’applique, à plus forte raison, à cette catégorie. C’était donc leur reconnaître implicitement une sorte de personnalité. Ils sont inscrits sur les registres des paroisses ; de plus, nous constatons que, sur les recensements les plus anciens que nous ayons conservés des Antilles[3], ils sont mentionnés avec leurs noms et surnoms. Il est vrai que ces états étaient surtout des états fiscaux dressés en vue de la capitation. Ce n’est qu’en 1784 que les procureurs ou économes gérants des habitations furent tenus d’inscrire sur un registre spécial les

  1. Avertissement aux protestants, § 50.
  2. « La loi ne reconnaît pas d’état civil à l’esclave ; une circulaire du 6 nivôse an XVI (27 décembre 1803) renouvela cette déclaration de l’édit de 1685, lors de la promulgation du Code civil aux colonies. L’esclave existe aux yeux de la loi seulement par les recensements du maître. » Schœlcher, Col. françaises, p. 53.
  3. Arch. Col., G1, vol. 468 à 472.