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compare ensuite le sort des nègres esclaves avec celui des paysans : « À partir de l’enfance, le nègre est comme ces petits paysans, dans le sein de leur famille, soumis à l’autorité paternelle, mais plus soigné et mieux nourri que les pauvres villageois. Devenu fort et laborieux, il commence, malgré la servitude, à goûter les plaisirs de l’amour ; et le maître n’a aucun intérêt à contrarier ses goûts ; il a bientôt ceux de la propriété ; on lui donne un jardin, une maison, des poules, un cochon, et il dispose aussi librement de ses récoltes que tout autre propriétaire. Il n’en est pas qui ait l’atrocité de forcer un esclave à lui donner gratuitement ou à lui vendre à bon marché ses œufs, ses poules, ses légumes. Cette tyrannie serait bientôt punie par le découragement de tout l’atelier ; et sur cela l’intérêt personnel se joint à l’humanité. » Suit une sorte de tableau idyllique de la condition du nègre, toujours par comparaison avec celle des paysans. « Son pécule et les produits de son industrie sont à lui et quittes de tout tribut. » Et plus loin : « Ceux mêmes (les blancs) dont la conduite est la plus déréglée ont au moins l’attention de ne pas troubler les ménages des nègres. Leur extrême jalousie, le désespoir, la vengeance dont ils sont alors capables suffisent pour obliger les maîtres à une grande circonspection. »

Évidemment ce Mémoire nous indique qu’il y a eu changement dans les mœurs et que l’influence des idées philosophiques du xviiie siècle s’est fait sentir même dans nos colonies. Mais n’oublions pas que tout cela dépend de la bonne volonté du maître, que la tyrannie légale n’en subsiste pas moins, et qu’il faut compter avec les passions de ceux qu’elle favorise. Il est certain que pour un maître cupide et inhumain, tout ce que possèdent ses esclaves étant en droit sa propriété, rien ne l’empêche d’en disposer à son gré.

Toutefois, même dans la loi, il se produit alors d’importantes modifications. Les progrès les plus caractéristiques à ce point de vue sont marqués par une ordonnance du roi, du