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où j’ai souvent déploré l’effroyable misère de cette condition ; dans tous les autres états, la misère finit avec la vie du misérable, mais elle persévère encore dans nos esclaves après leur mort, car il ne faut point parler de suaire, et de 50 qui meurent il n’y en a pas deux qu’on ensevelisse dans de la toile ; on les apporte couverts de leurs méchants haillons ou enveloppés de quelques feuilles de baliziers. Ceux qui ont apporté le mort font la fosse où nous les enterrons[1]. »



IV

Cependant, il s’est trouvé de tout temps des défenseurs convaincus de l’esclavage. La question de principe de la soumission d’une race à une autre a soulevé d’interminables discussions, dont nous n’avons pas à parler ici. Mais, dans la pratique, des hommes qui étaient à même de voir les choses de près ont fait valoir surtout les circonstances atténuantes, au moyen de deux arguments : l’un, c’est que la situation des nègres était bien meilleure aux Antilles qu’en Afrique ; l’autre, c’est qu’elle était au moins aussi bonne que celle de la plupart des paysans et des ouvriers d’Europe. Ces raisons sont exposées notamment dans un curieux mémoire de Malouet, Du Traitement et de l’emploi des nègres aux colonies, daté de 1776[2], L’auteur, qui vécut longtemps à Saint-Domingue et à Cayenne, y avait fait preuve de réels talents d’administrateur. Il est d’avis que « l’abandon général de la traite n’opérerait aucun bien en faveur de l’humanité ; car les noirs, en passant de leur pays dans le nôtre, quittent un despote qui a droit de les égorger, pour passer sous la puissance d’un maître qui n’a que le droit de les faire travailler en pourvoyant à tous leurs besoins ». Il

  1. Du Tertre, II, 538.
  2. Arch. Col., F, 90.