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manqué d’efficacité une seule fois depuis plus de dix ans. Or il constate que le tétanos faisait périr annuellement plus de 20.000 négrillons, dans les huit premiers jours après leur naissance. « À Saint-Domingue seul, il en périt tous les ans plusieurs milliers, sans compter que l’ignorance des habitants, qui fait regarder cette maladie comme un maléfice des nègres, les porte à des cruautés révoltantes envers les mères qui ont eu le malheur de perdre leurs enfants. Cette conduite déplorable incite un grand nombre de négresses à outrager la nature pour s’empêcher de devenir mères. Il résulte ainsi de ce mal et du défaut de le connaître une double cause de dépopulation. » En effet, les avortements n’étaient pas rares : en particulier les négresses qui ne voyaient pas la chance de faire affranchir leurs enfants semblent avoir eu assez souvent l’idée de les empêcher ainsi de naître à l’esclavage. De plus, faute de ménagements suffisants, les femmes enceintes étaient exposées à bien des accidents. Ce n’est que vers la fin du xviiie siècle que l’on songea à prendre quelques précautions à ce sujet et à créer des infirmeries pour les nègres malades.

On s’explique donc assez facilement que jamais la population esclave n’ait pu se recruter par elle-même aux Antilles. Causes physiques et causes morales, tout se réunissait pour user rapidement la masse des individus : excès de travail, alimentation insuffisante et mauvaise, peu ou point de soins en cas de maladies, sans parler des châtiments, que nous exposerons plus loin ; joignons-y pour les nouveaux venus la nostalgie, la difficulté de passer presque sans transition d’une vie de nonchalance à un travail continu et forcé, enfin ce refoulement constant de tous leurs instincts, qui était le résultat de la privation de liberté.

Et, cette lamentable existence terminée, voici comment on les traitait : « Quand un nègre est mort, le commandeur en destine quatre autres pour l’apporter à l’église sur deux grandes perches disposées en forme de civière ; et c’est ici