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bérance naturelle des nègres, contenue d’ordinaire avec tant de rigueur, pût se donner libre carrière. Nous avons vu qu’on avait dû interdire aux cabaretiers de leur donner à boire pendant les offices, parce qu’ils les troublaient souvent de leur tapage. La plupart du temps, ils consacraient l’après-midi du dimanche à des chants et à des danses, se prolongeant parfois jusqu’au lendemain matin, à l’heure du travail. Quand ils ne faisaient pas ces assemblées, ils allaient se rendre visite et se traitaient du mieux qu’ils pouvaient. C’est surtout, dit Du Tertre (II, 526-528) pour les baptêmes qu’ils se donnent de grandes fêtes ; « ils vendraient plutôt tout ce qu’ils ont qu’ils n’eussent de l’eau-de-vie pour solenniser leur naissance ». Ils se livrent aux mêmes réjouissances pour le mariage de leurs enfants ; seulement c’est alors aux dépens des maîtres qui les traitent. Et nous avons constaté combien les vrais mariages étaient rares.

Mais leur principale passion était la danse[1]. La plus ordinaire s’appelle le calenda. Elle est accompagnée de deux tambours, faits de morceaux de bois creux recouverts d’une peau de mouton ou de chèvre. Le plus court porte le nom de bamboula. « Sur chaque tambour est un nègre à califourchon, qui le frappe du poignet et des doigts, mais avec lenteur sur l’un et rapidement sur l’autre ». Nombre de nègres secouent en même temps de petites calebasses garnies de cailloux ou de graines de maïs. L’orchestre est parfois complété par le banza, « espèce de violon grossier à quatre cordes, que l’on pince. Les négresses, disposées en rond, règlent la mesure avec leurs battements de mains, et elles répondent en chœur à une ou deux chanteuses, dont la voix perçante répète ou improvise des chansons. » Le calenda est une danse vive et animée ; il est appelé chica à Saint-Domingue, congo à Cayenne, fandango en Espagne ; son caractère devient, suivant les endroits, extrêmement voluptueux et lascif.

  1. Cf. Moreau de Saint-Méry, Description de Saint-Domingue, I, 52-60 ; et De la danse.