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Le 10 juillet 1731, le Ministre écrit à M. de la Chapelle[1] : « J’ai vu ce que vous me marquez au sujet de l’abus qui s’est glissé dans la colonie de donner le samedi aux esclaves. Il faut distinguer les maîtres qui ne le leur donnent que par gratification et pour leur procurer le moyen de nourrir leurs enfants, comme M. le marquis de Sennectere assure qu’il le fait. À l’égard des premiers, l’intention du roi est qu’on fasse exécuter contre eux les ordonnances, qui leur défendent d’en user ainsi ; mais, à l’égard des autres, ils méritent qu’on les excepte de la règle et qu’on en tempère la rigueur en leur faveur. » Cette lettre nous fait voir qu’à la vérité il y avait des maîtres humains, mais aussi qu’il fallait rappeler le plus grand nombre à l’exécution de leurs devoirs. Les Conseils, chargés d’appliquer les règlements, se composaient de propriétaires qui pouvaient n’être pas eux-mêmes toujours exempts de reproches. En fait, on trouve rarement la trace de condamnations frappant les maîtres pour un pareil délit. Nous en avons noté une à la date du 6 novembre 1736[2], prononcée par le Conseil supérieur de la Guadeloupe contre un habitant qui avait accordé le samedi à ses nègres au lieu de les nourrir ; ce fut sur la plainte d’un nègre qui, pris en marronage, avait donné ce motif de son évasion. Mais il fallait que la vérité de telles plaintes éclatât bien à tous les yeux pour qu’on se décidât à en tenir compte. Nous voyons, en effet, d’autre part, par une lettre du Ministre à l’intendant de la Martinique[3], du 3 octobre 1738, que, des nègres s’étant plaints de la mauvaise nourriture, leurs plaintes ont été jugées sans fondement. La garantie accordée par l’article 26 du Code Noir, qui permettait aux esclaves de s’adresser au procureur général et « mettre leurs mémoires entre ses mains », était purement illusoire. Quant aux poursuites d’office, elles n’avaient jamais lieu.

  1. Arch. Col., B, 55, Îles-du-Vent, p. 306.
  2. Arch. Col., F, 225, p. 175.
  3. Arch. Col., F, 256, p. 63.