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tint jamais une place suffisante dans les préoccupations des propriétaires que la mortalité devint si grande parmi les nègres. L’insouciante inhumanité des maîtres fut un déplorable calcul. En admettant même que les distributions d’aliments eussent été absolument régulières, qu’on songe aussi à ce régime exclusif de bœuf salé et de poisson, qui était la plupart du temps de la morue de conserve ; de boisson autre que l’eau il n’est évidemment pas question, sauf parfois pour ceux qui sont occupés aux sucreries. Cette nourriture échauffante et peu réparatrice n’était déjà nullement en rapport avec la somme de labeur exigée de ces malheureux. Or nous constatons que, dans la pratique, les maîtres ne leur donnent même pas les rations obligatoires. Ce manque de nourriture fut une des causes les plus fréquentes du marronage des nègres.

Après le Code Noir, les ordonnances, déclarations, édits, règlements, arrêtés promulgués pour assurer la nourriture des nègres sont innombrables. Ces mesures se répètent à chaque instant, ce qui est la meilleure preuve qu’elles n’étaient pas observées. Il serait évidemment sans intérêt de les rappeler toutes. Aussi nous contenterons-nous d’analyser les documents qui nous fournissent quelques indications particulières.

Le 2 janvier 1696, un arrêt du Conseil supérieur de la Guadeloupe[1] réitère la défense d’accorder aux nègres le samedi au lieu de les nourrir et vêtir. Le 3 mai 1706, un règlement du Conseil de Léogane[2] ordonne qu’il sera planté « 150 pieds de manioc par chaque tête de nègres depuis l’âge de dix ans jusqu’à soixante, et 10 pieds de bananiers » ; de plus, « il sera fourni une fois l’an, ou dans deux récoltes, tous les ans, un baril de grains, soit pois, maïs ou mil par tête desdits nègres, sans que cela puisse diminuer les autres vivres qui sont ordinairement en terre, soit patates ou ignames, à peine aux contrevenants de 50 livres par chaque

  1. Arch. Col., F, 221, p. 889.
  2. Moreau de Saint-Méry, II, 70.