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tème. Vers la fin du xviiie siècle, Dessalles constate encore[1] que plusieurs y sont hostiles pour les raisons que nous avons indiquées, et qu’un certain nombre seulement ont, grâce aux mariages, « une pépinière de nègres créoles », qui leur permet de se passer plus facilement de ceux d’Afrique, « dont l’espèce commence à devenir plus rare ». Le marquis de Ségur, lieutenant du roi à la Grande Terre, dans un Mémoire intitulé « Observations sur l’économie en général pour les colonies d’Amérique[2] », daté du 5 mars 1777, nous montre que le libertinage est une des causes les plus fréquentes du marronage. Il estime qu’il faut exciter les nègres au mariage. Sans cela, ils font, la nuit, de longues courses pour aller voir leurs maîtresses sur des habitations souvent fort éloignées. Quand ils se sentent trop fatigués au retour et qu’il leur va falloir reprendre le travail, ils aiment souvent mieux rester marrons. C’est ce que constate encore, en 1831, A. de la Charrière, délégué de la Guadeloupe[3] : « Ils aiment à rôder la nuit comme les hyènes de l’Afrique. Ils entretiennent autant de femmes qu’ils le peuvent. Elles demeurent souvent à plus de deux lieues les unes des autres. Figurez-vous un nègre qui, le soir, après avoir fini son travail, au lieu de se coucher de bonne heure, comme nos paysans, part, son bâton ou son coutelas à la main, fait deux ou trois lieues, souvent à travers des précipices ou des chemins affreux, pour aller visiter une de ses maîtresses… »

En somme, les Européens, au lieu de s’appliquer à faire naître chez les nègres esclaves la moralité, qui, dans leur pays, n’existait qu’à l’état rudimentaire, n’ont profité de leur pouvoir à peu près absolu sur eux que pour satisfaire leur instinct brutal ; toute femme était avant tout asservie aux passions du maître. Nous avons vu combien la législation et

  1. Op. cit., III, 293.
  2. Arch. Col., Colonies en général, XIII, F, 90.
  3. Observations sur les Antilles françaises. Paris, 1831, p. 78. — Vers 1840, la proportion des mariages aux unions libres s’est trouvée être de 1 sur 6.887 à la Guadeloupe, et de 1 sur 5.577 à la Martinique. Schœlcher, Col. françaises, p. 72.