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l’esclavage, lorsque, la cause de l’humanité ayant triomphé dans l’opinion publique de la métropole, la proclamation de la liberté des noirs apparut comme la ruine aux colons des Antilles. Malheureusement, si la législation édicta sur ce point des mesures relativement sages, comme nous le verrons au chapitre traitant de la condition civile des esclaves, ici encore prévalut une détestable pratique.

En effet, dans nos colonies, sauf des cas exceptionnels, les prescriptions légales relatives au mariage des esclaves restèrent la plupart du temps purement théoriques. On ne constata que très peu d’unions régulières entre eux. Au début cependant, c’était pour les maîtres un principe d’intérêt bien entendu que de les encourager. Du Tertre nous apprend[1] qu’ils avaient soin en effet de marier le plus tôt possible leurs esclaves pour qu’ils eussent des enfants. Il rapporte à ce propos une anecdote assez piquante et qui montre que, même dans l’état le plus vil, peuvent éclore parfois les sentiments les plus délicats et les plus élevés. Une jeune négresse, qu’on voulait marier avec un nègre, aurait répondu à un religieux : « Non, mon Père, je ne veux ni de celui-là, ni d’aucun autre ; je me contente d’être misérable en ma personne, sans mettre des enfants au monde, qui seraient peut-être plus malheureux que moi, et dont les peines me seraient beaucoup plus sensibles que les miennes propres. » Aussi, ajoute-t-il, conserva-t-elle toujours son état de fille, et on l’appelait ordinairement « la pucelle des îles ». Suivant le même auteur, les négresses sont très fécondes et d’une continence admirable tant que leurs enfants ne sont pas sevrés. Moreau de Saint-Méry[2] vante leur amour maternel et constate que, malgré les avantages qu’ont pour elles les relations avec les blancs et la vanité qu’elles en tirent, elles ont un invincible penchant pour les nègres.

Les encouragements au mariage ne paraissent pas avoir

  1. II, 504-503.
  2. Description de Saint-Domingue, I, 44.