Page:Peytraud - L'esclavage aux Antilles françaises avant 1789, 1897.djvu/230

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

restent sans établissement. » Enfin, les mulâtres, cette « troisième espèce d’hommes », lui apparaissent comme dangereux pour l’avenir des colonies.

Assurément la vertueuse indignation du supérieur des missions lui inspire des réflexions et des vues très sages. Mais nous en sommes réduits à constater que, dans la pratique, malgré toutes les ordonnances et règlements, les abus subsistèrent le plus souvent, soit que ceux-là mêmes qui étaient chargés de les réprimer se trouvassent précisément dans des cas analogues, soit que les personnes à condamner fussent trop puissantes. La plupart des arrêts rendus le sont en effet lorsqu’il n’y a pas moyen de faire antrement, parce que le scandale a été trop grand, ou qu’un acte public force la justice à se prononcer. Par exemple, un arrêt du Conseil supérieur de la Martinique, de novembre 1730[1], annule la vente de quatre mulâtres faite à un nommé Le Merle, attendu qu’il en était le père naturel, et le condamne à 2.000 livres de sucre d’amende. Voici un autre cas, où la jurisprudence locale, quoique paraissant conforme aux intentions du législateur de la métropole, finit cependant par être infirmée par le Conseil du roi. Il s’agit d’un arrêt du Conseil du Cap[2], du 21 décembre 1769, qui juge qu’un grevé de substitution, qui affranchit et épouse sa concubine (négresse faisant partie des objets substitués) et qui légitime les bâtards qu’il a eus d’elle n’a pas dans ces derniers la postérité légitime qui doit faire cesser la substitution. « Le sieur Lafargue, riche habitant de Saint-Domingue, appela auprès de lui le sieur Guerre, un de ses petits-neveux. Celui-ci vécut en concubinage avec la négresse Petite-Manon et en eut deux enfants. Lafargue, par son testament notarié du 5 janvier 1744, légua son habitation et dépendances à Guerre, voulant qu’en cas que ce dernier meure sans enfants nés en légitime mariage, l’habitation retourne au profit de la

  1. Arch. Col., F, 255, p. 1277.
  2. Moreau de Saint-Méry, V, 285.