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qu’on leur doit par les principes de notre religion. » Puis, il s’est vite convaincu qu’ « une discipline sévère et très sévère est un mal indispensable et nécessaire… L’instruction, j’effraierais tous les saints du clergé de France si mon opinion sortait du sanctuaire de votre cabinet, est un devoir dans les principes de la sainte religion, mais la saine politique et les considérations humaines les plus fortes s’y opposent… La sûreté des blancs exige qu’on tienne les nègres dans la plus profonde ignorance… Je suis parvenu à croire fermement qu’il faut mener les nègres comme des bêtes… J’hésite à faire instruire les miens ; je le ferai cependant pour l’exemple et pour que les moines ne mandent point en France que je ne crois point à ma religion et que je n’en ai pas. » Cet aveu n’est-il pas significatif ? Voilà donc à quoi se réduisent ces projets en apparence généreux de conversion des nègres, destinés à calmer les consciences qui auraient pu s’indigner des horreurs de l’esclavage. Ce sont les considérations purement humaines qui l’emportent, le droit du plus fort qui finit par s’exercer cyniquement. Et cela en plein xviiie siècle ! Combien Voltaire avait raison d’écrire[1] : « Nous leur disons qu’ils sont hommes comme nous, qu’ils sont rachetés du sang d’un Dieu mort pour eux, et ensuite on les fait travailler comme des bêtes de somme : on les nourrit plus mal ; s’ils veulent s’enfuir, on leur coupe une jambe, et on leur fait tourner à bras l’arbre des moulins à sucre, lorsqu’on leur a donné une jambe de bois. Après cela nous osons parler du droit des gens ! » Non, la loi du Christ ne fut pas pour eux une loi d’amour et de fraternité ; ce n’est pas elle qui devait faire triompher les idées d’émancipation.


  1. Essai sur les mœurs. Édit. Garnier, XII, 417.