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des ecclésiastiques, quels qu’ils soient, sur leurs prérogatives. Nous n’en donnerons qu’un exemple : Les religieux avaient imaginé de recourir à la pénitence publique, qui impressionnait vivement les esclaves, pour réprimer leur libertinage, et ils l’imposaient aux négresses qui avaient donné le jour à des bâtards. La femme était contrainte de venir, au commencement de la messe paroissiale, à l’église, son enfant entre les bras, une corde au cou, un cierge allumé à la main ; elle restait ainsi à genoux durant toute la messe, au milieu de l’église, après quoi le curé baptisait l’enfant et faisait à la mère « une petite instruction et correction ». Mais le procureur général avait réclamé à ce sujet, voyant dans cette punition « une usurpation de la justice séculière », si bien que la pénitence publique avait été supprimée, le 12 septembre 1724[1].



V

Pour nous résumer, nous dirons que l’impression qui paraît avoir dominé chez les administrateurs, c’est plutôt celle des inconvénients que des avantages moraux de l’instruction religieuse donnée aux nègres. C’était le seul moyen d’éveiller leur esprit ; or il importait de supprimer en eux autant que possible toute pensée. Cette théorie de l’intérêt bien entendu est exposée tout au long dans une lettre confidentielle adressée, le 11 avril 1764, au Ministre par le gouverneur de la Martinique, Fénelon[2] : « Je suis arrivé à la Martinique, écrit-il, avec tous les préjugés d’Europe contre la rigueur avec laquelle on traite les nègres et en faveur de l’instruction

  1. Cf. Arch. Col., F, 252, pp. 527, 531, 567, 575, diverses pièces à ce sujet, année 1722. F, 69, Instructions à l’intendant Blondel de Jouvancourt, 4 janvier 1763 ; F 253, p. 477, au même, pour lui enjoindre l’interdiction, 12 septembre 1724.
  2. Arch. Col., Col. en général, XIII, F, 90.