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Nous venons de voir qu’il était difficile de contenir les esclaves, dès qu’ils étaient réunis à ces occasions. Parfois même ils étaient excités par les blancs, ainsi qu’il résulte d’une ordonnance des administrateurs de la Guadeloupe, du 9 septembre 1772[1]. Article premier : « Les tumultes et les huées indécentes des blancs et surtout des nègres, lors de la célébration des mariages, forcent les curés à ne plus administrer ce sacrement que pendant la nuit, à des heures indues, contre les règles de l’Église et les ordonnances de nos rois, notamment celle de 1650. » Les nègres qui feront du bruit à l’église seront condamnés à trois heures de carcan. — Art. 2 : « Défendons pareillement pour les mêmes raisons les attroupements de nègres autour des églises, dans les jours de grande solennité et particulièrement pendant celles de la semaine sainte, et ce à cause des bruits indécents qui en résultent autour et souvent dans l’intérieur de l’église, à peine d’être punis suivant l’exigence des cas, ce que nous confions à la prudence des juges respectifs. »

Ou comprend qu’il était assez difficile de faire pénétrer dans ces esprits grossiers la pure doctrine du christianisme. N’oublions pas d’abord qu’ils n’arrivaient à saisir par l’usage que quelques mots de la langue usuelle, et qu’ils prononçaient encore en les dénaturant de singulière façon. Par conséquent, les religieux étaient obligés de se mettre à leur portée par tous les moyens possibles, et surtout de matérialiser l’expression de leurs idées[2]. Bien entendu, le cercle de leurs développements était très restreint. Les nègres ne manquaient pas non plus de modifier au gré de leur imagination les notions qu’on essayait de leur inculquer. D’après ce que rapporte Moreau de Saint-Méry, « selon eux, Dieu fit l’homme et le fit blanc ; le diable, qui l’épiait, fit un être tout

  1. Arch. Col., Recueil des lois particulières à la Guadeloupe, F, 236, p. 654.
  2. Cf. P.-A. Chevillard, Les desseins de S. Em. de Richelieu pour l’Amérique, etc. Rennes, s. d., in-4. Il donne, p. 143, un curieux modèle d’instruction religieuse à l’usage des nègres.