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On m’a même assuré que, dans une des paroisses de l’île, le curé introduisit l’année dernière dans le sanctuaire le singe et la guenon qui contrefaisaient le roi et la reine ; ils furent placés l’un et l’autre dans des fauteuils… » Le gouverneur a frémi en pensant qu’il y avait en ce moment dans l’île « 15 ou 18.000 nègres tous choisis, ameutés et exercés, et auxquels il ne manquait qu’un chef ». Mais il saisit l’occasion d’une dispute pour défendre à l’avenir les processions. Aussi le Ministre écrit, le 27 novembre suivant, au P. de Sacy[1] : Le roi approuve la défense faite par le gouverneur ; les processions des nègres lui ont semblé, en effet, indécentes pour la religion et mauvaises pour la discipline. — Toutefois, sur les réclamations des religieux, on se décida à les autoriser de nouveau, mais on interdit aux esclaves de se parer pour l’occasion. Une ordonnance des administrateurs de la Martinique, du 30 mai 1776[2], porte en effet que « les esclaves de l’un et de l’autre sexe ne pourront assister aux processions qu’avec leurs habits ordinaires et conformes à leur état, à peine du fouet et du carcan, et, contre les maîtres qui les autoriseront, de 50 livres d’amende ».

Les maîtres craignaient toujours, naturellement, les révoltes. De plus, ils voyaient les fêtes de mauvais œil, parce qu’elles les privaient du travail de leurs esclaves. À plusieurs reprises, il fut question de les diminuer. Ainsi l’intendant Blondel de Jouvancourt nous fait connaître[3] que le Conseil de la Martinique a proposé de retrancher les fêtes pour les esclaves seulement, « en obligeant les habitants de payer à la fabrique de leur paroisse pour chaque fête retranchée 5 sols par tête de nègre et 2 sols à chaque nègre pour le dédommager de son travail. » Cette proposition, dit-il, ne peut qu’être approuvée des habitants, « puisqu’ils profiteraient par là de quarante jours de travail pendant l’année ». Quelque

  1. Arch. Col., F, 238, p. 743.
  2. Durand-Molard, op. cit., III, 265.
  3. Arch. Col., C8, 32. Lettre du 28 juin 1723.