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restant. Aussi le roi propose-t-il, quelque temps après[1], comme une sorte de garantie mutuelle des colons. Il engagera la Compagnie du Sénégal à faire passer des nègres à Saint-Christophe, et il ajoute : « Le meilleur moyen de les y attirer serait qu’on pût en assurer le paiement et que le risque du crédit ne roulât pas entièrement sur ceux qui les porteront. Lesdits sieurs d’Amblimont et Robert examineront si on peut mettre en œuvre quelque expédient pour réussir, tel que celui de former une espèce de communauté des plus accommodés des habitants qui se trouveront dans chaque quartier, qui s’en rendraient solidairement responsables pour le temps dont on conviendrait et prendraient ensuite leur sûreté avec les petits colons. » Pour que beaucoup ne fussent pas en état de payer, il suffisait que la récolte eût manqué une année. Les colons, en effet, vivaient au jour le jour, consommant ou vendant au fur et à mesure qu’ils produisaient[2]. C’est là une des conséquences fatales du système de l’esclavage et de cette culture exclusive et à outrance des denrées d’exportation qu’il amena, non moins que du pacte colonial. Ces questions se lient étroitement entre elles. Elles nous montrent combien fut mauvais le régime économique auquel furent soumises les îles, régime qui, au surplus, produisit lui-même de détestables conséquences morales : amour du luxe et de la jouissance facile, manque absolu de prévoyance. Ce n’est pas sur de telles bases que s’établit solidement une société.

Ce fut le manque d’argent qui empêcha presque toujours la constitution de fortunes mobilières. Il n’y avait au début que celui qu’apportaient avec eux les premiers habitants, et

  1. Arch. Col., F, 67, 20 avril 1698. Mémoire du roi à MM. le marquis d’Amblimont et Robert.
  2. Arch. Col., F, 22. Lettres de Lemoyne, ordonnateur de Cayenne, au Ministre, 23 septembre 1755 et 10 octobre 1756. Il montre bien que l’habitant « n’a rien à prévoir qu’à son désavantage ; il saisit l’instant présent, l’avenir ne lui promet rien » ; car, si les denrées sont trop abondantes, elles tombent à vil prix ou se perdent.