Page:Peytraud - L'esclavage aux Antilles françaises avant 1789, 1897.djvu/137

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

puis, on lui enleva plus de cent morceaux de chair avec des couteaux, jusqu’à ce que les os fussent à nu et qu’elle expirât. — Un jour, le 19 juillet 1768, sur le Saint-Nicolas, comme le capitaine plaisantait au milieu de sa cargaison, à un signal donné, les nègres se précipitent sur lui et sur son entourage. Vingt d’entre eux, laissés libres, avaient détaché les fers des autres. Une lutte terrible s’engage ; mais les nègres, manquant d’armes, étaient bien forcés de succomber. Ils parviennent pourtant à blesser un certain nombre de blancs, tandis que 32 d’entre eux, dont 15 femmes, étaient tués, et 27 blessés grièvement. — Isert raconte, dans sa lettre du 12 mars 1787[1], une révolte dont il faillit être victime. Le lendemain du départ, les nègres étaient sur le pont, assis, observant un profond silence ; tout à coup, ils se lèvent tous en poussant des cris épouvantables. Pendant plus de deux heures il fallut lutter contre eux ; mais ils n’avaient réussi à blesser que 2 Européens, tandis que 34 des leurs étaient restés sur le carreau. Moreau de Saint-Méry, dans ses notes manuscrites[2], écrit d’une manière générale : « Il y a des bâtiments où les nègres se mutinent ; alors c’est un affreux carnage. Il est des nègres qui, quoique avec des fers qui leur ont fait enfler les jambes, et avec des menottes, se révoltent et enchaînent les blancs avec leurs menottes mêmes. On en a vu qui, après avoir tenté une révolte dans laquelle ils étaient battus, se laissaient mourir de faim et de soif. »

À part des accidents de cette nature ou des épidémies, le déchet ordinaire pendant les traversées parait avoir été de 7 à 8 % en moyenne. Le capitaine Jean Knox[3] déclare que, lors de son premier voyage à la côte d’Angola en 1782, sur 450 nègres, il lui en est mort 17 ou 18 ; dans le deuxième, sur 320, 40 ; cette mortalité plus considérable s’explique par la lenteur de l’achat et parce

  1. Cf. p. 281 et sqq.
  2. Arch. Col., F, 133, p. 467.
  3. Arch. Col., F, 61. Enquête de la Chambre des Communes en 1789.