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patrie entre les mains de leurs cruels concitoyens, ni de leurs peines avec leurs insensibles maîtres des colonies, mais de cet état intermédiaire dix fois pire où ils se trouvent pendant leur transfert d’Afrique aux îles. À bord, ces malheureux sont enchaînés de l’un à l’autre par les mains et les pieds et tenus si pressés qu’ils n’ont pas plus d’un pied et demi pour chaque individu. Ainsi serrés comme des harengs dans des barils, ils engendrent des maladies putrides et toutes sortes d’affections dangereuses, de manière que, quand leurs gardiens viennent les visiter le matin, ils ont chaque jour à ôter plusieurs nègres morts des rangs et à séparer leurs carcasses du corps de leurs malheureux compagnons auxquels ils étaient unis par les fers. » Le volume auquel nous avons emprunté cette citation contient la gravure et la description d’un de ces bagnes flottants, de ces « bières mouvantes », suivant l’expression de Mirabeau, qu’on appelait bâtiments négriers[1].

Nous ajouterons une sorte de témoignage mixte, tiré de la déposition d’un capitaine nommé Jean Knox devant le Comité d’enquête de la Chambre des Communes en 1789[2]. « Les esclaves embarqués sont, déclare-t-il, traités avec humanité et attention. » Et, répondant à une question : « Je n’ai jamais présumé qu’aucun soit mort pour avoir été trop foulé. » On voit qu’il n’en est pas très sûr. Comme on lui demande quelles précautions sont prises pour conserver la santé des nègres : « La plus grande propreté, dit-il, les fumigations, les aspersions de vinaigre et surtout le renouvellement de l’air. » Mais voici qui va nous édifier sur le degré de bien-être dont ils peuvent jouir à bord. Les nègres sont enchaînés jambe droite avec main droite, et jambe gauche avec main gauche. Le fer qui embrasse la jambe a à peu près la forme d’un demi-

  1. Cf. Arch. Col., F, 133, p. 467 : « C’est une véritable prison mobile qu’un vaisseau négrier, etc. » Suit la description : partout des cloisons, des grilles, des serrures, des cadenas. Cf. aussi : Description d’un navire négrier, brochure de 15 pages, s. l. n, d., paraissant être de 1789.
  2. Arch. Col, F, 61.