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n’étaient pas toujours des articles de première qualité. Par exemple, « on baptise plus ou moins l’eau-de-vie, nous apprend un capitaine, selon les lieux et la facilité de duper des gens toujours défiants sur cet article ; mais surtout prenez garde qu’aucun nègre ne s’en aperçoive ni même le soupçonne. Cette opération se fait ordinairement abord avec de bonne eau claire de France[1]. » Dans le journal d’un capitaine, daté du 22 janvier 1789[2], il est rapporté qu’un roi se plaint de mauvaises marchandises reçues par lui en paiement : il fait apporter pour preuve une pièce d’indienne toute déchirée ; il ajoute que les pièces de soie sont trop petites, et il trouve que c’est une supercherie que d’y mettre du bois et du papier pour qu’elles paraissent plus grosses ; il fait allusion à la planchette sur laquelle on les enroule et au papier dans lequel on les enveloppe pour ne pas risquer de les détériorer. Voici un autre passage qui confirme ces témoignages sur la nature soupçonneuse des nègres ; c’est à propos de Barbesin, qui amène des captifs au comptoir de Joal : « Barbesin, toujours parfaitement au courant sur le prix des marchandises d’Europe et sur le prix des esclaves dans les colonies, ne considère jamais un capitaine négrier que comme un homme qui veut le tromper, et, sur le simple soupçon qu’il a de l’avoir été, prend d’autorité les marchandises qu’on refuse de lui donner et en fixe lui-même le prix ; et le capitaine, pour éviter de plus grandes pertes par un séjour inutile, est forcé de mettre à la voile et de venir se plaindre au gouverneur de Gorée, qui lui fait rendre justice quand les circonstances le permettent[3]. »

Il y avait des tarifs établis, mais il arrivait assez souvent que les vendeurs ne voulussent pas les accepter. Delà, parfois, de grandes variations dans le nombre et la valeur des objets

  1. Arch. Col., F, 61.
  2. Ib., Ib.
  3. Arch. Col., Mémoire de Le Brasseur, déjà cité.