Page:Peytraud - L'esclavage aux Antilles françaises avant 1789, 1897.djvu/100

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ainsi, en résumé, dès notre établissement aux Antilles, la traite fut de tout temps favorisée par le pouvoir royal sous l’ancien régime, au profit exclusif des négociants du royaume, car le gouvernement craignait trop que la permission accordée aux colons ne les portât à faire avec l’étranger le commerce de leurs produits des îles pour se soustraire aux conséquences abusives du pacte colonial. Si elle n’arriva presque à aucun moment à fournir la quantité de noirs réclamée par les habitants des Antilles, la cause la plus générale nous a paru en être dans la difficulté que les Compagnies ou les armateurs éprouvaient à se faire payer régulièrement, vu la rareté de l’argent systématiquement établie par la métropole aux îles et la nécessité du troc en denrées coloniales. Il y a lieu de tenir compte aussi des risques divers que présentait ce genre spécial de commerce, malgré les bénéfices importants qu’il pouvait procurer, lorsqu’il y avait moyen de le pratiquer d’une manière tout à fait régulière. Il fut surtout conçu par les métropolitains au point de vue de leur intérêt, et c’est, croyons-nous, une des raisons pour lesquelles ils eurent soin de ne jamais prodiguer la marchandise, afin de ne pas l’avilir et d’en maintenir les prix à leur gré, grâce à l’exclusion de la concurrence étrangère. Toutes ces considérations peuvent servir à expliquer par avance que, malgré l’étonnante fertilité des Antilles, par suite de la cherté de la main-d’œuvre servile et des entraves diverses auxquelles ils furent assujettis, les colons, tout en menant une vie large, se soient trouvés la plupart du temps gênés pour la réalisation de leur fortune. Quant au caractère immoral et inhumain de la traite en elle-même, ni gouvernants, ni gouvernés ne semblent y avoir songé un seul instant. Pour que la question se pose, il faut que les progrès de l’esprit public, éveillé par les philosophes, aient la liberté de se manifester hautement à la faveur de la Révolution.