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courtois, Lancelot se comporte du pis qu’il peut et se couvre de ridicule. Mais, lorsqu’il est autorisé à faire au mieux, il prend sa revanche et émerveille tous les assistants par sa bravoure.

En intitulant son poème « le Chevalier de la charrette » et non pas « Lancelot », Chrétien a voulu piquer la curiosité de ses premiers lecteurs[1]. Ni le titre ni toute la première partie du récit ne laissent deviner quel est le chevalier mystérieux, parti à la recherche de la reine et triomphant, pour la retrouver, des difficultés les plus insurmontables. Lancelot est nommé pour la première fois au moment où il combat contre Méléagant sous les yeux de Guenièvre. Il y a bien d’autres mystères dans le roman : on voit surgir des personnages qui jouent un rôle dans un épisode et qui disparaissent ensuite sans qu’on puisse saisir la raison de leur intervention momentanée ; la reine connaît l’aventure de la charrette, et nous ne voyons pas comment elle a pu l’apprendre, etc., etc. Un certain nombre de ces obscurités peuvent être le résultat d’une simple négligence de composition ; mais d’autres sont certainement voulues et destinées à intriguer le lecteur.

C’est dans le Chevalier de la charrette qu’on voit apparaître pour la première fois l’amour de Lancelot et de Guenièvre. Chrétien, en l’imaginant, lui a donné tous les caractères de l’amour courtois tel que le présentaient les poètes lyriques, tel aussi que le concevait la comtesse Marie de Champagne (à qui le roman est dédié), si l’on en croit le curieux Art d’aimer, écrit en latin par André le Chapelain au commencement du XIIIe siècle[2].

Perceval. — Perceval, écrit pour Philippe d’Alsace, comte de Flandre, est le dernier roman de Chrétien de Troyes ; car, d’après le témoignage d’un de ses continuateurs, c’est la mort qui l’empêcha d’achever cet ouvrage. La mère de Perceval avait perdu son mari et ses deux autres fils tués dans des tournois, et pour soustraire son dernier fils, alors âgé de deux ans, à un sort pareil, elle s’était retirée avec lui dans la partie la plus sauvage

  1. Il y avait aussi dans ce titre une antithèse, qui n’était pas pour déplaire à Chrétien.
  2. E. Trojel, Andræ Capellani regii Francorum De Amore libri tres (Havniæ, 1892, in-12). Sur une traduction d’André le Chapelain en vers du XIIIe s., cf. Romania, XIII, 403.