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antérieurement au poème français que nous possédons[1] et ces premières années du XIIe siècle, comme semblent l’attester les noms d’Artusius et de Walwanus (Gauvain) découverts par M. Pio Rajna[2] dans des chartes d’Italie. Il n’est pas moins sûr qu’un grand nombre des noms propres que nous trouvons dans les romans arthuriens sont d’origine celtique[3]. Mais il est fort possible que les poètes français n’aient emprunté que les noms, et qu’ils aient tiré de leur propre fonds et du fonds commun du folklore les aventures qu’ils prêtent à leurs héros, comme on ne peut nier qu’ils ne doivent à eux seuls leur conception particulière de l’amour et de la vie. Leurs histoires sont tout à fait indépendantes des imaginations de Jofroi de Monmouth, pourquoi ressembleraient-elles davantage aux récits dont nous parle Wace, et qui, eux aussi, probablement, n’avaient de breton que le nom ? M. de Villemarqué avait vu dans le recueil gallois des Mabinogion la source directe des poèmes de Chrétien ; mais on admet aujourd’hui le rapport inverse, ou tout au moins une source commune, sans dépendance.

Les partisans de l’origine celtique des légendes arthuriennes ne s’entendent pas d’ailleurs sur le point d’origine : les uns tiennent pour la grande Bretagne, les autres pour la petite ; enfin M. Gaston Paris, tout en croyant que les romans de la Table ronde sont particulièrement gallois, admet comme intermédiaires des poèmes anglo-normands qui seraient aujourd’hui perdus. La thèse de l’origine française a été soutenue par M. W. Fœrster, notamment dans la préface de son édition d’Érec.

Chrétien de Troyes est de beaucoup le plus célèbre de nos vieux auteurs de romans. Il avait au moyen âge une très grande réputation, qu’exploitaient les imitateurs étrangers de livres français, en lui attribuant volontiers les œuvres qu’ils traduisaient. Nous ne savons presque rien de sa vie ; mais on a pu établir avec une suffisante précision la chronologie de ses

  1. Sur le caractère d’Arthur dans l’épopée, voir H. zur Jacobsmühlen, Zur Charakteristik des Königs Artus im afrz. Kunstepos, diss. Marburg, 1888.
  2. Voir Romania, XVII, p. 161-85 et 355-65.
  3. Voir Zimmer, Zeitschr. für franz. Spr. u. Lit., XII, 231-256, et XIII, 1-117, et H. Pütz. ibid., XIV, p. 161-210.