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accueil. Il le fait asseoir près de lui, appelle sa fille et lui dit : « Demoiselle, vous devriez faire la connaissaucc de ce chevalier et lui faire beaucoup d’honneur. Sur cinq cents, pas un ne le vaut. » Ces paroles remplissent de joie la jeune fille. Elle se lève et appelle Eliduc.

Loin des autres se sont assis.
Tous deux étaient d’amour épris.
Elle n’osait l’entretenir
Et il craignait de lui parler.

Il la remercie cependant de son cadeau : « jamais aucun ne lui fut si cher. » « J’en suis tout heureuse, dit-elle, je vous ai envoyé l’anneau et la ceinture pour vous « saisir » de ma personne, je vous aime de tel amour que je veux faire de vous mon seigneur, et si je ne peux nous avoir, sachez en toute vérité que je n’en aurai jamais d’autre. À votre tour, dites-moi votre pensée. »

« Dame, fait-il, grand gré vous sais
De votre amour, grand joie en ai.
Avec vous ne serai en reste.
Au roi j’ai promis demeurer
Auprès de lui un an entier ;
Puis m’en irai en ma contrée,
Car je ne veux point demeurer
Si de vous puis avoir congé. »
La pucelle lui répondit :
« Ami, vous dis un grand merci !
Êtes si sage et si courtois
Qu’auparavant vous pourvoirez
Que vous voudrez faire de moi.
Plus que tout vous aime et vous crois. »
Ainsi échangèrent leur foi,
Plus n’ajoutèrent un seul mot.

Désormais, Eliduc put souvent parler à son amie, et grande fut leur amitié ; mais il n’y avait entre eux nulle folie ni vilenie.

Cependant Eliduc est rappelé par le roi de son pays, qui s’est repenti de l’avoir disgracié : il est en péril et réclame son aide. À cette nouvelle, Guilliadon se pâme de douleur. Eliduc

Entre ses bras la prit et tint,
Tant que de pâmoison revint.
« Par Dieu ! fait-il, ma douce amie,
Souffrez un peu que je vous die,
Vous êtes ma vie et ma mort,
Et en vous est tout mon confort.
Par besoin vais en mon pays,
De votre père ai congé pris ;
Mais je ferai votre plaisir,
Quoiqu’il m’en doivë advenir. »
Elle répond : « Emmenez-moi,
Puisque demeurer ne voulez. »

Eliduc lui dit avec douceur qu’en agissant ainsi, il manquerait à sa foi envers son père, puisqu’il s’est engagé avec lui jusqu’à un terme qui n’est pas encore écoulé.