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anneaux scellés dans les dalles du quai, il ralentit le pas, aspirant l’air vif qui courait, surchargé d’exhalaisons de goudron, de toile à voile, de sel marin. Dans un mouvement uniforme, avec un bruit monotone, les grues laissaient glisser des chaînes au bout de leurs longs bras ; puis des jets de vapeur s’échappaient en sifflant ; avec un effort, un essoufflement, elles tournaient sur leur axe, venant déposer à terre des sacs, des ballots, des tonneaux, dont des grappes d’hommes attentifs s’emparaient pour les conduire en les cases encore libres de ce damier que présentait la surface du quai.

Le jeune homme marchait sans rien voir, absorbé dans sa pensée, possédé du désir fou d’insulter quelqu’un, de briser quelque chose : un de ces besoins d’autant plus violents, aveugles, que celui qui les ressent se sait faible et impuissant.

On lui avait jeté une aumône !… On l’avait pris pour un mendiant, lui !

Et le fait que ce fut une femme qui l’eût insulté de sa pitié doublait l’injure ; il s’y mêlait un sentiment d’amour-propre de mâle humilié par la faiblesse.

Brusquement, il revint à la vie extérieure. La jeune femme le rejoignait, marchant rapidement sur le sol noirâtre, semé de flaques du quai, relevant de sa main encore dégantée ses jupes de satin valant des mois de nourriture pour des pauvres.

— Pardonnez-moi, dit-elle, la voix douce.

Il s’arrêta, troublé, profondément atteint par la caresse humble de cette inflexion féminine.

Elle était tout près de lui, le dominant un peu de