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ÉTUDES DE LITTÉRATURE

Voilà ce que dit et répète Voltaire. Aussi ne sommes-nous pas peu étonnés quand on l’accuse de réduire la morale à une négation. Mais, je vous prie, écoutez ce passage d’un article écrit, il y a dix ou douze ans, par un de nos critiques les plus distingués : « La loi morale, pour Voltaire, c’est ne pas commettre l’injustice. Ainsi restreinte, elle n’est que l’instinct social, l’instinct de conservation chez un être fait pour vivre en société. Or, ce n’est pas en tant que résistant à la mort sociale que la morale est une morale, c’est à partir du moment où, le trépas social conjuré, elle va plus loin. Ce n’est pas quand elle dit : Ne tue point ! qu’elle est une morale, car ne tue point indique seulement que l’homme a envie de vivre ; c’est quand elle dit : Donne, dévoue-toi. L’instinct social embrasse et comprend toute la justice ; la morale commence à la charité. Or, c’est où elle commence que Voltaire n’atteint pas. » On pourrait se demander si l’auteur de ces lignes avait jamais feuilleté le Dictionnaire philosophique ou les Discours sur l’homme, ouvert seulement un des nombreux ouvrages dans lesquels Voltaire expose ses idées morales. Au mot charité, Voltaire substitue, j’ai dit pourquoi, le mot bienfaisance. Mais que prêche-t-il, que pourrait-il bien prêcher, sous le nom de bienfaisance, qui ne soit l’amour du prochain, le dévouement, le don de soi-même ? C’est là, partout et toujours, le fond de sa morale. Dois-je fournir des citations ? Il serait trop facile de les multiplier. Aussi bien deux peuvent suffire. « La seule loi fondamentale et immuable qui soit chez les hommes, écrit-il dans l’Essai sur les mœurs, c’est celle-ci : Traite les autres comme tu voudrais être traité. Cette loi est de la nature même, elle ne peut être arrachée du