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ET DE MORALE CONTEMPORAINES

la force des choses par un seul acte autonome qui suffirait pour troubler l’ordre universel ? Cette question est une de celles qui ont le plus préoccupé Voltaire. Et tantôt il penche pour la liberté, tantôt pour le déterminisme. Sa pensée intime, quand il reste dans le domaine de la spéculation, c’est que nous ne sommes pas libres. Seulement il redoute les effets que peut avoir le déterminisme au point de vue moral et social. « Le bien de la société, déclare-t-il, exige que l’homme se croie libre, et, si le fatalisme était vrai, je ne voudrais pas d’une vérité si cruelle. » Et il fait valoir en faveur du libre arbitre des raisons de bonne femme, comme il dit, des arguments tout sentimentaux.

De même pour l’âme. Que pouvons-nous savoir si nous avons une âme, si ce que nous nommons âme est quelque chose de spirituel, quelque chose d’immortel, s’il y a une autre vie, des peines et des récompenses futures ? Ici encore, la véritable pensée de Voltaire, sa pensée purement intellectuelle, serait de nier cette âme, cette vie à venir, cette sanction ultérieure. Et il avoue, en propres termes, que, s’il n’enseigne pas le matérialisme, c’est par crainte des conséquences qui en résultent. Mais l’idée de l’immortalité, comme celle du libre arbitre, importe à la morale, et, l’intérêt de la société voulant qu’il existe une justice après la mort, « on ne doit pas ébranler une opinion si utile au genre humain. »

De même enfin pour Dieu. Son existence ne se démontre pas. Les catéchismes de philosophie en fournissent de nombreuses preuves, parce qu’aucune de ces preuves n’est assez forte pour dispenser des autres ; et toutes ensemble ne sauraient imposer la