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le regard de l'abolition éternelle, c'est enfin le regard de la désintégration de l'oubli.

L'artiste a fermé l'atelier sur son œuvre. Il avait les yeux brouillés. C'était fini. Il ne voulait plus rien sa- voir. Il ne pouvait plus voir son œuvre. J'entends qu'au lieu de la voir du seul regard, du regard tou- jours frais, toujours neuf, toujours nouveau, toujours innové du créateur, de l'auteur, il commençait de la voir, bon gré mal gré, éxwv zs. x<x\ axcov, invilus invitatus, il commençait irrévocablement de la voir d'un regard habitué, ce regard à partir du commence- ment duquel il n'y a plus rien à faire. Il n'y avait donc plus rien à faire. Son regard n'était plus neuf. C'est la seule cécité qui soit irréparable pour l'artiste. Alors il a fermé la boîte. Lui l'auteur il commençait de voir comme un public. Il devenait son premier public, son commencement de public. Et dans cet atelier que l'au- teur a fermé, que la mort a fermé, nous sommes tous tout de même toujours, nous (autres) les petits, et l'œuvre est en(tre) nos mains, et le sort de l'œuvre, puisqu'elle est sous nos regards. Et nous emplissons l'atelier de notre indigne, de notre indigent brouhaha. Les mots ont un sens infiniment plus profond que leur sens, et surtout, petits misérables, que leur si-gni-fi- ca-tion. Si dur que soit ce marbre de Paros, et quelle qu'en soit l'antique, l'insoleillée patine, incessamment nos regards feront ou déferont l'Aphrodite antique. A chaque instant nous sommes libres de dire et de faire des bêtises, mon pauvre ami, et nous en faisons, ce

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