Page:Peguy oeuvres completes 08.djvu/321

Cette page n’a pas encore été corrigée

rare que le génie poétique. Depuis les anciens combien comptons-nous de chroniqueurs et de mémorialistes. La plupart, la de beaucoup plus grande part ne sont que de faux historiens, des historiens déguisés Non pas faux comme historiens, je veux dire faux comme mémorialistes ; enfin de vrais historiens faux mémorialistes. Ils n’approfondissent point dans leur mémoire. Ils font leur histoire, l’histoire de leur temps, l’histoire de leur événement. Historia mei temporis, voilà le titre qu’ils pourraient, qu’ils devraient tous prendre.

Dans votre maison même, dit-elle, vous en avez eu, vous en avez donné un exemple particulièrement frappant. Vous avez publié ces papiers d’une famille de républicains fouriéristes. Ces dix ou onze cahiers, ou moins, ou plus, étaient bourrés des textes, des documents les plus intéressants, lettres, journal, notes, etc., toutes parties qui appartiennent intégralement à la mémoire. Qui sont de l’ordre de la mémoire, mais une partie du bénéfice était perdu, si vous me permettez de vous le dire, parce qu’on était souvent gêné par une perpétuelle référence à l’histoire. On était perpétuellement transporté, reporté du plan de la mémoire sur le plan de l’histoire, et réciproquement, déporté du plan de la mémoire sur le plan de l’histoire, ballotté d’un plan à l’autre, ou plutôt on était prié de vivre sur les deux plans à la fois. C’était extrêmement fatigant. Et pourtant nous nous rappelons tous, dit-elle, combien ces documents étaient intéressants et de premier ordre, c’est-à-dire combien ils étaient pleins de mémoire ;