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-rait loin. Nul ne verrait jamais le bout de rien. Nul ne verrait la fin du commencement. N’est-ce pas, il faut se faire une raison. Quand je parle d’épuiser une question, tout le monde comprend bien qu’il ne s’agit point de la réalité, de mon ennemie, de ma grande ennemie la réalité, tout le monde entend que je ne parle pas, que je ne pense pas à épuiser cette odieuse réalité. Cette odieuse femme. Cette femme éternelle. Parce que tout le monde est bien gentil avec moi. Qu’il ne s’agit que de perlustrer, d’arroser du regard, de parcourir un certain nombre, généralement considérable, de documents, de recenser un nombre, qu’il faut énorme, de monuments. Du moment que c’est gros, pour moi c’est comme si c’était complet. Un livre, un ouvrage, un travail énorme ne peut pas ne pas être épuisant. Il inspire une sorte de respect, et d’effroi, comme je le veux, non seulement qui me suffit, mais qui remplace avantageusement pour moi le respect de la réalité. La paix régnait, et tout le monde était content. Le contentement planait. Seulement il y a ces veaux, qui ne veulent rien savoir, ces jeunes veaux, vituli, nos jeunes amis, vitelli, nos jeunes camarades, qui font semblant de ne pas comprendre, des godelureaux enfin, des jouvenceaux, juvenci, des béjaunes, qui se mêlent de vouloir épuiser réellement la réalité. Alors on ne les voit jamais revenir. Vous comprenez. Ce sont les mauvais esprits. Ils ont l’esprit philosophique, ce microbe ; l’esprit métaphysique et métaphysicien, ce virus ; l’esprit, le goût réaliste, cette peste. Messieurs sont philosophes.