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des juges et qui demain seront des générations mortes. C'est-à-dire elles-mêmes des générations appelantes. Longue poursuite temporelle, perpétuellement déce- vante poursuite, toujours en porte-à-faux, et singulière justice, justice de l'histoire, justice de la postérité, et singulière magistrature et singulière juridiction où suc- cessivement le juge en robe court après les inculpés pour se faire admettre lui-même au rang d'inculpé. Singulier tribunal. Et singulier prétoire. Ce n'est plus même Brid'oison. Le tribunal court après le prétoire. Le tribunal court après le box. Le magistrat lève le pied. Le juge retrousse sa robe et saute la barre pour se faire admettre accusé, pour se faire admettre mort.

Telle est l'infirmité. Telle est la creuse et l'intime et l'axiale et la centrale infirmité. L'infirmité n'est pas seulement dans la qualité des générations juges succes- sives. Elle n'est pas seulement dans leur plus ou moins de valeur propre et personnelle et pour ainsi dire nomi- native et dans leur plus ou moins de manque de valeur, et dans le genre et dans l'espèce et dans la sorte et dans la qualité de cette valeur ou de ce manque de valeur. Elle n'est pas seulement dans l'identité (indi- viduelle) de ces différentes générations, dans ce qu'elles sont. Elle n'est pas seulement dans leur commune identité, dans leur identité mutuelle, dans leur identité entre elles. Elle n'est pas seulement dans leur loisir ou dans leur manque de loisir, dans leur disposition ou disponibilité. L'infirmité profonde est dans le méca- nisme même de la remémoration à laquelle est liée

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