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me livre à des travaux, à ces travaux ingrats qui me consument comme un sable altéré, je me consume dans ce désert sans fin. Je présente ainsi un spectacle lamentable, je fais un objet pitoyable, à voir, qui briserait le cœur le plus dur. Moi, l'histoire, je trompe le temps. Ces recherches me rappellent mon jeune temps. C'est-à-dire le temps de ma jeune vieillesse. J'aime beaucoup mes jeunes amis. Je les estime presque. Mais quand on leur donne des recherches à faire, quelque- fois on ne les voit jamais revenir. Il y en a qui sont trop bêtes, de ces jeunes amis. Ils prennent au sérieux, au pied de la lettre, mes enseignements, mes célèbres méthodes. Pour moi je suis sotte, vous le dites, vous le savez, mais je ne suis tout de même pas aussi bête que vous me faites. Je sais très bien, parfaitement je sais que jamais on n'en sortirait. Aussi mes bons élèves, c'est pour cela que mes meilleurs élèves n'en sortent pas. Ceux-là je les méprise, beaucoup, et je les estime ensemble et autant. Je les méprise infiniment parce qu'ils me prennent au sérieux, les malheureux, et mes enseignements et mes méthodes, et que naturellement ils ne peuvent pas s'en tirer. Les sots. Nous savons bien que s'il fallait épuiser la littérature d'un homme et d'un sujet avant d'en écrire, avant d'en enseigner, avant d'en traiter, avant d'en faire un livre, un cours et conférences, une note même pour les Archiv et une imperceptible notule, avant d'en penser même, s'il fallait aussi et encore plus épuiser la réalité d'une question, hein, ça nous mène-