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Sombre fidélité pour les choses tombées. Après ce sera peut-être ma fin. Mots voluptueux, tout pleins de mémoires, tout pleins de souvenirs, tout gonflés des anciennes promesses, des voluptés anciennes, des anciennes promesses (à développement) ultérieures. Je me croirais encore au temps de ma vieillesse. D’autres se croiraient encore au temps de leur jeunesse. Mais je suis si vieille que ma vieillesse même se perd dans la nuit des temps. Vous croyez toujours que je plaisante, et vous le dites, que je fais des plaisanteries, qui seraient sottes. Que vous faites stupides. Quand vous les rapportez. Si vous saviez combien je suis malheureusement triste, et quelle détresse masquent toutes ces facéties. Je suis une pauvre vieille femme sans éternité : moins que rien ; une loque ; un vieux chiffon de femme. Orgueilleuse, et creuse, de tant de passé, à ce que je dis, je suis donc sans (aucun) avenir. Les regrets de la belle hëavlmiere, c’est moi qui fus la belle heaumière ; La belle qui fut hëaulmiere, dit le texte. Qu’est-ce qu’une femme, une (pauvre) vieille femme sans son éternité ? Qu’est-ce qu’il en reste ? C’est moi qui fus la belle Clio, si adulée. Comme je triomphais au temps de mes jeunes réussites. Puis l’âge vint. Moi aussi j’ai connu les victoires de la maturité, les victoires aux hanches lourdes. J’ai mis tout mon bien en viager. Combien d’autres, qui ont moins triomphé, touchent à l’âge où elles auront tout, où elles toucheront tout. Et moi je touche à ce même âge où je n’aurai plus rien. Alors j’essaie de me tromper. Je