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302 OPUSCULES.

le mouvement ne pouvant être sans espace, on voit ces trois choses enfermées dans la première.

Le temps même y est aussi compris : car le mouvement et le temps sont relatifs l’un à l’autre : la promptitude et la lenteur, qui sont les différences des mouvements, ayant un rapport nécessaire avec le temps.

Ainsi il y a des propriétés communes à toutes ces choses, dont la connaissance ouvre l’esprit aux plus grandes merveilles de la nature.

La principale comprend les deux infinités qui se rencontrent dans toutes : l’une de grandeur, l’autre de petitesse[1].

Car quelque prompt que soit un mouvement, on peut en concevoir un qui le soit davantage et hâter encore ce dernier ; et ainsi toujours à l’infini, sans jamais arriver à un qui le soit de telle sorte qu’on ne puisse plus y ajouter. Et au contraire, quelque lent que soit un mouvement, on peut le retarder davantage, et encore ce dernier ; et ainsi à l’infini, sans jamais arriver à un tel degré de lenteur qu’on ne puisse encore en descendre à une infinité d’autres, sans tomber dans le repos.

De même, quelque grand que soit un nombre, on peut en concevoir un plus grand et encore un qui surpasse le dernier ; et ainsi à l’infini, sans jamais arriver à un qui ne puisse plus être augmenté. Et au contraire, quelque petit que soit un nombre, comme la centième ou la dix-millième partie, on peut encore en concevoir un moindre, et toujours à l’infini, sans arriver au zéro ou néant.

Quelque grand que soit un espace, on peut en concevoir un plus grand et encore un qui le soit davantage ; et ainsi à l’infini, sans jamais arriver à un qui ne puisse plus être augmenté. Et au contraire, quelque petit que soit un espace, on peut encore en considérer un moindre, et toujours à l’infini, sans jamais arriver à un indivisible qui n’ait plus aucune étendue.

Il en est de même du temps. On peut toujours en concevoir un plus grand sans dernier, et un moindre sans arriver à un instant et à un pur néant de durée.

C’est-à-dire, en un mot, que quelque mouvement, quelque nombre, quelque espace, quelque temps que ce soit, il y en a toujours un plus grand et un moindre : de sorte qu’ils se soutiennent tous entre le néant et l’infini, étant toujours infiniment éloignés de ces extrêmes.

Toutes ces vérités ne se peuvent démontrer ; et cependant

  1. Ce ne sont pas de vraies infinités, mais seulement des indéfinités, si l’on peut parler ainsi ; et encore ces indéfinités ne sont-elles pas toujours réalisables, plusieurs ne pouvant être admises qu’en théorie et non en pratique, comme la divisibilité de la matière à l’infini.